Publié le 08 déc 2017Lecture 9 min
Transition de la pédiatrie à la médecine d’adulte dans le diabète
Paul JACQUIN, Médecine de l’adolescent, hôpital Robert Debré, Paris
Le passage des adolescents du suivi pédiatrique à la diabétologie d’adultes (DA) constitue toujours une épreuve. Quitter un milieu de soins familier pour l’inconnu n’est jamais aisé, et ce d’autant moins que cela intervient à une période de la vie plutôt instable, gestion du diabète incluse. À côté des facteurs individuels de réussite ou d’échec de ce passage, il existe des facteurs liés à l’organisation des différents acteurs de soins et aux disponibilités locales.
On différencie le passage, qui ne représente que l’étape centrale du changement d’équipe, de la transition, processus long qui débute bien en amont du passage et se termine lorsque l’accrochage est jugé satisfaisant en adulte. L’enjeu majeur de ce passage est médical, et au-delà, il engage la qualité de vie des patients. En effet, les conséquences qui surviennent en cas d’échec sont graves : complications aiguës plus fréquentes, en particulier acidocétoses, accélération de la survenue de complications dégénératives (néphropathie et rétinopathie), dépistées plus tardivement et moins bien traitées.
Le diabète est un bon exemple d‘une maladie chronique, dont le traitement est théoriquement parfaitement efficace, à court terme et sur les complications à long terme, mais dont l’application en pratique est lourde de contraintes, rendant sa faisabilité variable, notamment à l’adolescence. Depuis longtemps, des programmes d’éducation thérapeutique sont mis en place tout au long du parcours des patients, en pédiatrie et en diabétologie d’adultes, dans le but d’améliorer l’observance et la qualité de vie des patients. Plus récemment, la transition des soins de la pédiatrie à la médecine d’adultes est apparue comme une question importante.
En effet, cette étape « logique » qui clôt le suivi pédiatrique et ouvre le suivi en diabétologie d’adulte s’avère difficile pour beaucoup d’adolescents et jeunes adultes (AJA), avec un risque élevé de rupture du suivi spécialisé (20 à 50 % selon les séries). L’échec du passage signifie que le patient n’a plus de référent spécialiste et est exposé à un risque plus important de complications aiguës (recours aux urgences, acidocétoses) et dégénératives (rétinopathies et néphropathies prises en compte plus tardivement à un stade plus évolué). Il s’agit donc d’un enjeu capital pour la qualité de vie adulte de nos patients qui justifie des efforts importants de préparation et d’accompagnement, d’autant que cette transition intervient au même moment que beaucoup d’autres transitions dans la vie du jeune : âge de la majorité, engagement dans un travail ou des études, dans une relation de couple, départ du domicile parental, etc.
Anticiper
Comme pour beaucoup d’autres maladies chroniques, le suivi médical des adolescents diabétiques se concentre le plus souvent sur l’observance thérapeutique. Au jour le jour, les soignants essaient d’accorder au mieux, parfois au moins mal, les impératifs médicaux et les besoins nouveaux et changeants de l’adolescence. Mais il est assez peu question de l’après, la vie d’adulte, ni des éventuelles interactions du diabète sur la vie professionnelle ou sur la possibilité d’avoir des enfants, bref du projet de vie. De plus, le risque des complications dégénératives du diabète apparaît souvent comme trop menaçant pour être abordé simplement par les adolescents, les parents et aussi par les soignants, et les mauvaises nouvelles sont repoussées dans un futur lointain. Les pédiatres oublient trop souvent qu’ils participent à la fabrication d’adultes !
Le passage de la pédiatrie à la diabétologie d’adulte apparaît comme une rupture d’autant plus vive qu’il s’inscrit dans ce contexte où l’on a du mal à anticiper l’avenir positivement. C’est pourquoi, il est nécessaire de le préparer pendant au moins une ou deux années selon les recommandations, et d’anticiper beaucoup plus.
Il s’agit d’inscrire cette étape dans la continuité de la trajectoire de vie de l’enfant devenant adulte avec son diabète. Dès l’annonce du diagnostic, et certainement lors de la ré-annonce de la maladie conseillée à l’entrée au collège, il faut pouvoir évoquer toutes les questions d’avenir avec l’enfant et ses parents : la vie normale avec la maladie, avec les contraintes permanentes du traitement, ses changements possibles (en évitant les fausses promesses sur les progrès de la médecine), les possibilités de métiers et les limites, le permis de conduire, la fertilité normale, les besoins d’une grossesse programmée et très surveillée, les faibles risques de transmission à la descendance, les complications dé génératives et ce qu’on peut faire pour les éviter, et les soigner si elles surviennent... et enfin le passage de la pédiatrie à la diabétologie pour adultes. Cette approche va dans le sens du développement de l’adolescent et du jeune adulte, qui doit s’approprier cette maladie, et faire avec sa vie durant. En faire l’économie est une fausse protection de l’enfant et de l’adolescent, et ne l’aide pas dans son autonomisation.
Autonomisation
C’est là l’une des principales missions des soignants en pédiatrie : aider l’enfant et l’adolescent à progressivement prendre en charge les multiples tâches liées à sa maladie et à son traitement, acquérir des compétences et savoir les utiliser (encadrés 1 et 2).
L’autonomisation fait partie des tâches fondamentales de toute adolescence, avec ou sans maladie, et il ne s’agit pas que de liberté ou d’indépendance par rapport aux parents. C’est aussi apprendre à se connaître, ses capacités et ses limites, et savoir sur qui s’appuyer quand on ne peut pas faire seul.
Les soignants doivent accompagner l’adolescent dans cette voie, et pour cela lui donner la parole assez tôt : à partir de la puberté, il est indispensable de pouvoir recevoir les adolescents seuls une partie du temps de consultation, pour les entendre et les aider à cheminer sur la perception de leurs besoins et capacités, et sur leurs représentations.
L’autonomisation est un travail continu, de l’enfance à l’âge adulte, et ne s’arrête pas aux portes de la pédiatrie. Les parents et les soignants ne doivent pas attendre que toutes les compétences soient acquises, en tout ou rien, pour que l’adolescent puisse passer en adulte, mais plutôt s’accorder avec lui sur une répartition des tâches évolutive. Notons qu’aujourd’hui, la grande majorité des adolescents qui passent en diabétologie d’adultes en s’y sentant prêts, compte encore sur leurs parents pour gérer les stocks d’insuline, le matériel, les droits sociaux et les rendez-vous médicaux. Et tant mieux, merci aux parents qui continuent de jouer ce rôle essentiel jusqu’à ce que le jeune puisse effectivement le reprendre à son propre compte.
Mais les parents ont eux aussi besoin d’être accompagnés vers l’autonomisation de leur enfant, le transfert des responsabilités et l’effacement progressif de contrôle que cela suppose.
Cette « transition » dans les fonctions parentales concerne tous les parents d’adolescents, mais est beaucoup plus difficile dans le contexte de la maladie et des inquiétudes légitimes des parents.
Quitter la pédiatrie
En l’absence d’anticipation et d’autonomisation, quitter la pédiatrie est le plus souvent vécu comme un deuil : c’est la tristesse d’être obligé de quitter sa « deuxième famille », l’équipe qui vous connaît et que vous connaissez « depuis le début ». Mais c’est aussi une épreuve de réalité douloureuse : passer en diabétologie adulte signifie d’abord qu’on n’est pas guéri, que « c’est vraiment à vie », c’est la fin des fantasmes infantiles. Ensuite, c’est le saut dans l’inconnu, une équipe qui ne vous connaît pas et dont la compétence n’est pas certaine : « Sauront-ils s’occuper de mon cas, m’accepteront-ils comme je suis ? ». Enfin, cela signifie qu’on va être confronté à des « vieux », et surtout à ces fameuses complications dont on ne voulait pas (entendre) parler en pédiatrie.
Arriver en adultes
En l’absence d’une organisation spécifique dédiée à l’accueil des AJA nouveaux patients, ce saut dans l’inconnu risque fort de décourager les jeunes postulants. La prise du premier rendez-vous s’avère souvent compliquée, surtout quand le jeune ne dispose que du nom de l’hôpital et du service mais pas d’un nom de médecin ni du bon numéro de téléphone. Autre difficulté, la transmission des informations entre les deux services : le patient est trop rarement en possession du résumé de son dossier, et le médecin qui le reçoit également. « Tout était si simple en pédiatrie, on vous donnait le prochain rendez-vous d’une fois sur l’autre et on vous rappelait si vous ne veniez pas au rendez-vous… ».
Le style de consultation est également différent, moins maternant, les parents ne sont plus invités ni même reçus. La consultation est généralement plus brève, avec des médecins qui peuvent changer d’un rendez-vous à l’autre, et surtout l’intervalle entre deux rendez-vous est fréquemment de 6 mois (qui deviennent 12 quand un rendez-vous est manqué !). Last but not least, la salle d’attente et l’hospitalisation vont effectivement mélanger des patients de tous âges et à tous les stades de complications, confrontation toujours pénible pour les nouveaux arrivants.
Ces différents facteurs vont conduire un certain nombre de patients AJA à « décrocher » après un ou deux rendez-vous diabétologie d’adultes qui ne leur ont pas convenu. Le pédiatre est rassuré car il a reçu le courrier du confrère attestant de l’arrivée du patient en adulte… lequel ne réapparaîtra que des années plus tard, via les urgences (acidocétose) ou avec une rétinopathie proliférative. Autre différence avec la pédiatrie, l’équipe paramédicale (psychologue, infirmière d’éducation, etc.) est généralement plus réduite dans les services adultes, pour une file active beaucoup plus importante
Préparer et organiser la transition
La nécessité et l’efficacité d’une préparation au passage et de son organisation spécifique ne sont plus à prouver. L’objectif est de réduire le nombre des obstacles identifiés pour accompagner et sécuriser le passage : anticiper, s’autonomiser, acquérir des compétences concernant la gestion de la maladie et du traitement et, au-delà, différents aspects psychosociaux. Certaines équipes ont instauré une fonction de transiteur(trice) identifiée en pédiatrie et/ou dans les services d’adultes, personne ressource durant toute la période de la transition. Beaucoup utilisent des dossiers de transition, des questionnaires ou des checklists de compétences qui sont des repères très utiles. Cependant, ces outils sont surtout intéressants dans une optique d’empowerment : l’autonomisation du jeune est une co-construction « partenariale » avec ses parents et les soignants. C’est le point de vue de chacun qui doit être entendu, et non pas une prescription ou une contre-indication du passage. La structuration de cette période de transition, étape par étape, permet aux patients et à leurs parents de se repérer et limite le sentiment d’abandon souvent exprimé.
Coopération entre pédiatres et diabétologues d’adultes
Une transition réussie est le résultat d’une coopération vivante entre les services de pédiatrie et les services d’adultes : il est essentiel que les soignants se connaissent et se rencontrent, la confiance sera accordée au nouveau médecin d’autant plus facilement que les patients sentent qu’elle existe entre les deux. Les pédiatres ont à apprendre des diabétologues d’adultes des éléments d’information sur la vie des adultes diabétiques et sur la gestion des complications. D’autre part, l’accueil en adultes doit être adapté de façon à faciliter l’accrochage des AJA dans ce nouvel univers : identifier un soignant dédié pour accueillir et orienter les nouveaux arrivants, éventuellement regrouper les jeunes (bilans, éducation thérapeutique), faire visiter le service, expliciter les ressources, téléphones utiles, etc. ; cette personne peut également veiller à ce que les premiers rendez-vous soient suffisamment rapprochés (environ tous les 3 mois) et relancer les patients qui ne viennent pas à leurs rendez-vous. La surveillance de l’accrochage et les relances éventuelles font partie des dispositifs à organiser ensemble, entre services de pédiatrie et d’adultes.
Conclusion
La problématique de la transition est une occasion de repenser la prise en charge des adolescents diabétiques. Bien plus qu’une liste de tâches à accomplir, il s’agit d’adapter nos pratiques pour aller avec les jeunes patients vers plus d’autonomie et d’accompagner un projet de vie permettant d’envisager l’avenir avec plus d’optimisme.
Remerciements au Service d’endocrinologie et de diabétologie de l’hôpital Robert Debré et à tous les membres du groupe collaboratif de l’étude « Pass’âge » sur la transition des diabétiques en Ile-de-France.
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