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Allergologie - Immunologie

Publié le 16 juin 2017Lecture 9 min

Trophatop® ou fx® 5 positifs : que faire ?

Thierry BOURRIER, Consultation d’allergologie pédiatrique, consultations de médecine, hôpitaux pédiatriques, CHU de Lenval, Nice

La fréquence de l’allergie alimentaire continue à augmenter particulièrement en pédiatrie. L’intérêt d’un diagnostic précoce dès l’apparition des sensibilisations, souvent associées alors à une dermatite atopique, est de proposer une prise en charge avec l’espoir de modifier l’histoire naturelle de la marche allergique. Les tests de dépistage constituent un des outils diagnostiques utiles à la disposition du clinicien.

Trophatop® ou fx®5 : de quoi parle-t-on ? Après la découverte des IgE et grâce à un de leurs inventeurs, le docteur Johansson, des méthodes de dosage sériques ont été développées initialement en Suède pour les IgE totales, puis les IgE spécifiques en radio-immunologie (RAST : Radioallergosorbent test). Les fx®, parmi lesquels le multiscreen fx® 5 qui date de 1990 et comprend blanc d’œuf, lait de vache, poisson, arachide, soja, blé, a été le proto type ayant abouti au Trophatop® enfant. En 2016, 35 fx® de fx® 1 à fx® 74 sont disponibles avec des numéros orphelins 4, 6, 33 à 69. « L’ancêtre » des tests de dépistage en allergologie a été le Phadiatop® aux paramètres excellents : sensibilité de 94 % au sein d’une population pédiatrique allergique respiratoire, spécificité de l’ordre de 90 % et corrélation avec les prick-tests de 96 %(1). Ces paramètres restent satisfaisants pour les tests de dépistage alimentaire, bien que moins performants en termes de sensibilité notamment. La firme Pharmacia®, pionnière en la matière, est devenue Phadia®. À présent, ces tests sont distribués par ThermoFisher Scientific®, la radio-immunologie a cédé la place à l’immuno-enzymologie (figure 1). D’autres laboratoires ont développé des tests de dépistage alimentaire avec les mêmes objectifs. Selon la nomenclature française des actes de biologie, ces deux examens sont des tests biologiques d’orientation diagnostique en allergologie : tests sériques de dépistage qui sont des tests unitaires vis-à-vis d’allergènes alimentaires (trophallergènes) mélangés dans le même réactif ou sur le même support sans identification de l’allergène. La cotation limitée à 3 mélanges d’allergènes différents (tel le Trophatop® enfant) est B51, et n’est pas cumulable avec un dosage unitaire d’IgE spécifiques contre des trophaller gènes et/ou des pneumallergènes, l’identification non quantitative d’allergènes et le dosage des IgE totales(2). Les Trophatop® adulte et enfant n’ont pas la même composition. Le fx® 5 est un des 3 constituant du Trophatop® adulte avec le fx® 24 et le fx® 25. Il y a pourtant des « réactions croisées » importantes entre fx® 5 et Trophatop® enfant. Alors lequel choisir ? En augmentant le nombre d’aliments présents dans un test de dépistage, on peut espérer augmenter la sensibilité de la méthode (figure 2). Figure 1. Principe de la recherche d’IgE spécifiques in vitro. Figure 2. Composition du Fx® 5 et du Trophatop® enfant. Trophallergènes et Trophatop® En pédiatrie, et surtout avant l’âge de 3 ans, un petit nombre d’aliments est le plus souvent en cause. En hommage aux regrettées Fabienne Rancé et Denise Anne Moneret-Vautrin, on peut citer leur travail déjà ancien mais qui reste représentatif de l’épidémiologie de l’allergie alimentaire(3). À la fin du XXe siècle chez l’enfant de moins de 15 ans, 78,1 % des allergies alimentaires (AA) étaient représentés par blanc d’œuf, cacahuète, lait de vache, poisson et moutarde, 4 des 6 composants du fx® 5. Les auteurs décrivaient en plus de ce groupe 1, trois autres groupes dans lesquels le nombre d’allergènes était inversement proportionnel à leur fréquence. Ainsi, dans le groupe 4 (2,5 % des AA), on n’avait que 1 seul cas rapporté pour 21 aliments. Les choses ont évolué en France en 20 ans ! Bien que les allergènes fréquents sont observés quotidiennement, d’autres alors plus rares sont devenus émergents. Les anacardiacées, qui concurrencent l’arachide avec l’augmentation régulière des allergies à la noix de cajou (et à la pistache) chez le petit enfant, ne font pas partie du Trophatop® enfant. Qu’attend le clinicien de ces tests ? Ces tests doivent permettre d’argumenter l’existence d’une allergie alimentaire. La positivité du test de dépistage peut être recherchée pour un eczéma diagnostiqué comme atopique, surtout s’il est précoce, mais sans arguments cliniques pour une allergie alimentaire (il n’y aura d’ailleurs peut-être jamais de sensibilisations spécifiques). La recherche du (ou des) aliment(s) responsable(s) sera demandée dans une urticaire aiguë, un angio-œdème, une urticaire récidivante, plus rarement dans une urticaire chronique, voire d’autres situations comme une anaphylaxie idiopathique. • Il ne faut pas leur demander plus que ce qu’ils sont capables d’explorer ! À savoir, une hypersensibilité allergique à mécanisme IgE-dépendant impliquant des trophallergènes présents dans les mélanges. Le clinicien non allergologue ne doit pas oublier cette donnée au moment de sa prescription. Il est toujours utile de se référer à la classification moderne des phénomènes d’hypersensibilité, proposée par Johansson avec l’Académie européenne d’allergologie et d’immunologie en 2001, qui a été validée par la World Allergy Organisation en 2004(4). Cela permettra de ne pas les prescrire dans un phénomène d’hypersensibilité alimentaire non allergique, dont les meilleurs exemples sont le phénomène d’histamino-libération lié, par exemple, aux fraises et la scromboïdose avec son apport excessif d’histamine. Plusieurs mécanismes pour un même aliment peuvent cependant donner une symptomatologie identique allant jusqu’à l’anaphylaxie.  • Il faut les intégrer dans une bonne pratique du diagnostic allergologique. D.-A. MoneretVautrin a proposé en 2004 une « fusée lunaire » à plusieurs étages pour une optimisation du diagnostic allergologique par rationalisation de la progression(5). Les 4 étages à mettre successivement à feu sont : l’interrogatoire, les tests cutanés, les tests biologiques et les tests de provocation. Un test de dépistage d’emblée (3e étage biologique) shunte cette progression rationnelle (figure 3). Un allergologue ne doit en principe pas employer cette voie. En revanche, pour un clinicien non allergologue, la demande d’un test de dépistage dans une situation clinique atypique ou lorsque le recours à un correspondant allergologue est difficile (lieu d’exercice, délai de rendez-vous), peut permettre de débrouiller la situation. Figure 3. La « fusée lunaire » à quatre étages. Le Trophatop® ou le fx® 5 sont positifs : quelles conséquences ? Peut-on alors dire que cet enfant présente certainement une allergie alimentaire ; cet enfant est certainement atopique ; cet enfant aura forcément besoin d’un régime ; cet enfant doit éviter tous les aliments du mélange révélés positifs ; cet enfant n’a pas besoin d’une consultation d’allergologie. • Cet enfant a certainement une allergie alimentaire. Faux. Même si ce résultat est un « vrai » test positif. La positivité d’un test allergologique (étages 2 et 3 de la fusée lunaire) signe une sensibilisation et pas forcément une allergie. Sensibilisation ne signifie pas responsabilité clinique (figure 4). Une confrontation de ce résultat biologique est nécessaire avec : les données de l’interrogatoire (1er étage de la fusée), et particulièrement en allergie alimentaire, avec un éventuel test de provocation (4e étage). Figure 4. Hyperréactivité cutanée. • Cet enfant est certainement atopique. Vrai… Mais... La positivité du test ne fait qu’argumenter la présence d’IgE spécifiques. La sensibilité est cependant assez bonne pour qu’il y ait probablement un terrain atopique. Mais à côté des « vrais » tests positifs et des « vrais » négatifs, heureusement les plus fréquents, il y a comme pour tout test de dépistage des faux négatifs et des faux positifs. Il faudrait idéalement que sensibilité et spécificité de la méthode soient de 100 %. Le dosage des IgE totales n’est pas un test de dépistage de l’allergie, et son intérêt est limité en première intention (indications restreintes en allergologie : polysensibilisations, dermatite atopique). Il doit toujours être interprété en fonction du contexte clinique et anamnestique. Un taux élevé peut cependant entraîner un faux positif du Trophatop® ou du fx® 5. • Cet enfant aura forcément besoin d’un régime d’éviction. Faux. Là encore, sensibilisation n’égale pas allergie. La positivité chez un enfant porteur d’une dermatite atopique ne prouve pas la responsabilité du lait ou de l’œuf et ne doit pas aboutir à une éviction systématique de ces aliments. • Cet enfant doit éviter tous les aliments du mélange révélés positif. Faux. Cela paraît évident ! Sauf en cas d’allergies multiples… vraiment très multiples. Encore faut-il penser à l’expliquer aux parents au moment de la prescription, sinon ils se posent souvent la question et, dans le pire des cas, décident eux-mêmes de suivre un régime excessif. • Cet enfant n’a pas besoin d’une consultation d’allergologie. Faux. Il faut identifier le ou les allergènes responsables de la production d’IgE spécifiques pour discuter quel(s) est (sont) le (les) aliment(s) (éventuellement) responsable(s) des symptômes. On se réfère à nouveau à la fusée lunaire : interrogatoire, tests cutanés, dosage d’IgE spécifiques unitaires. Mais les prick-tests sont les plus rentables par leur facilité de mise en œuvre, leur rapidité et leur faible coût. L’expertise d’un allergologue qui pourra les effectuer et les interpréter est donc le plus logique, mais l’accès à ce spécialiste est variable. L’allergologue devient une denrée rare ! On peut donc avoir recours d’emblée au dosage d’IgE unitaires chiffrées. Ces dosages unitaires étant de toute façon indispensables en cas d’AA réelle ou suspectée pour apprécier le risque de réaction clinique. Toutefois, la nomenclature n’en rembourse que 5 et ils ne sont pas cumulables sur une même ordonnance avec le test de dépistage. Les composants allergéniques très souvent nécessaires en allergie alimentaire (arachide, noisette et œuf) rentrent dans la limite de ces 5. La puce ISAC® qui dose les IgE contre plus d’une centaine de composants allergéniques n’est pas remboursée et reste d’interprétation très spécialisée. Il reste que l’expertise d’un allergologue reste nécessaire à un moment donné pour prouver ou infirmer la responsabilité de l’aliment sensibilisant, expliquer les modalités du régime d’éviction et faire bénéficier l’enfant de séances d’éducation thérapeutique. C’est à lui de poser l’indication d’un test de provocation oral à la recherche d’une tolérance spontanée et de discuter d’une possible immunothérapie allergénique alimentaire. Conduite pratique Il fautre prendre l’interrogatoire : • les antécédents familiaux pour apprécier le risque héréditaire d’atopie, les antécédents personnels et, en particulier, la dermatite atopique, facteur de sensibilisations alimentaires ; • le régime de l’enfant est fonction de son âge : ce qui est introduit, ce qui est toléré, ce qui a déclenché une réaction clinique, ce qui n’est pas encore introduit, ce qui est rejeté instinctivement ; • Préciser les circonstances de déclenchement des symptômes. L’allergie dans sa forme typique, y compris alimentaire, est un drame classique en trois actes : unité de lieu, de temps, d’action. Il faut effectuer les tests cutanés : • ces tests peuvent être effectués à n’importe quel âge, même à quelques semaines de vie, la réactivité cutanée étant présente même chez le très jeune nourrisson. • les allergènes à tester évoluent avec l’âge ; • la positivité d’un test de dépistage doit les faire effectuer. À l’inverse, dans les rares situations de dermographisme (figure 4), les tests cutanés sont ininterprétables, un Trophatop® est alors indispensable, même pour l’allergologue. Il faut discuter un test de provocation Cet examen reste l’étalon-or du diagnostic en allergie alimentaire, mais ne peut raisonnablement être effectué que dans une structure hospitalière ou apparentée. Conclusion Un bilan allergologique est justifié en pédiatrie dés lors que la symptomatologie le motive (phénomène d’hypersensibilité immunologique). Il faut insister sur la place prépondérante et initiale de l’étape clinique. Si la biologie présente un intérêt incontournable en allergie alimentaire, les tests de dépistage, dont le Trophatop® et le fx® 5 font partie, ne sont qu’un jalon « de débrouillage ». Leur positivité doit faire effectuer ce bilan allergologique pour établir la relation entre sensibilisation et culpabilité de l’allergène. La démonstration de cette relation est indispensable pour déboucher sur une prise en charge optimale : régime d’éviction le moins large possible, discussion d’une immunothérapie spécifique alimentaire. On peut peut-être espérer ainsi dans certains cas modifier l’histoire naturelle de la maladie allergique, dès l’âge pédiatrique si possible. Pour finir, on pourrait se poser la question : le Trophatop® et le fx® 5 ont-ils un intérêt ? En pratique, l’allergologue répondra « rarement », sauf pour argumenter un terrain atopique lors d’études épidémiologiques comme dans la cohorte hollandaise BAMSE(6). Les tests de dépistage alimentaires sont alors associés au test de dépistage respiratoire qui augmentent la sensibilité de la recherche. En revanche, le caractère « transversal » des pathologies allergiques fait que pratiquement tous les médecins peuvent avoir recours à ces tests de dépistage alimentaire pour aiguiller un patient vers une consultation d’allergologie(7). La positivité d’un de ces tests justifiera immédiatement ou secondairement cette expertise allergologique.

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