Publié le 11 avr 2017Lecture 11 min
Surdité de l’enfant : le droit à l’appareillage auditif
Natalie LOUNDON, service ORL, hôpital Necker-Enfants malades, Paris
La surdité est une pathologie fréquente de l’enfant et de l’adulte. Un enfant sur 1 000 naît sourd profond et à ces chiffres, il faut ajouter les cas de surdités évolutives et acquises au cours de l’enfance. À 3 ans, la prévalence des surdités sévères et profondes est de 3/1 000. Les surdités congénitales bilatérales sont particulièrement sévères car elles ont un impact à la fois sur la construction de la parole et du langage, et sur le développement psychoaffectif de l’enfant.
Appareillage auditif : le droit de choisir ?
Dans le monde, 360 millions de personnes présentent une déficience auditive, mais moins de 10 % de cette population bénéficient d’un appareillage. En France, environ 10 millions d’individus sont concernés par cette pathologie et le taux d’appareillage auditif de ces surdités est d’environ 30 %(1-4). Ces chiffres sont représentatifs des difficultés à mettre en œuvre les prises en charge dans le monde et encore aujourd’hui en France (figures 1 à 4). Sont en jeu différents facteurs : la méconnaissance du handicap par les familles et par les professionnels eux-mêmes, la fragilité des moyens sanitaires et humains, la difficulté de l’accès aux soins et aux professionnels, le coût des appareils et les barrières psychologique et culturelle. La question du droit à l’appareillage est celle de permettre une remédiation pour tous pour rétablir une égalité de chance en termes de développement individuel, d’insertion socio-professionnelle et in fine de prévenir la dépendance liée au handicap.
L’accès à la réhabilitation de l’audition est une problématique à la fois humaine, sociale et sociétale : la surdité est un réel enjeu de santé publique.
Figure 1. Comparaison entre la prévalence du déficit auditif chez l’enfant et le revenu national brut
(OMS, 2011).
Figure 2. Prévalence de la surdité invalidante (OMS, 2011).
Figure 3. Répartition des programmes de prise en charge des surdités (OMS,
2015).
Figure 4. Relation entre retentissement du handicap auditif et dépendance
(Insee, 2008).
Pour optimiser la prise en charge, quels axes de réflexion ?
Pour le patient et sa famille, il s’agit d’avoir accès au diagnostic et de pouvoir bénéficier des outils les plus adaptés. Pour les professionnels de santé, il s’agit d’être en nombre suffisant pour couvrir les besoins du territoire, d’avoir la formation et les moyens de faire les diagnostics et de pouvoir proposer les outils adaptés à chaque patient. Pour les autorités de santé, il s’agit d’asseoir les recommandations dans les textes de loi, de définir la carte sanitaire du dépistage et les réseaux de formation, et enfin de donner le cadre financier pour les soins. La première étape du processus de réhabilitation est celle d’avoir accès au diagnostic et donc celle du repérage des troubles auditifs.
Le dépistage de la surdité en France
En maternité
Dans le cas des surdités congénitales, l’enjeu est à la fois auditif et neurodéveloppemental. La construction de la boucle audiophonatoire est un phénomène complexe, qui comprend la construction cérébrale de la cartographie fréquentielle auditive (la tonotopie), l’analyseur phonologique, ainsi que la structuration des aires motrices dédiées au langage oral. Ainsi, dans le cadre d’une surdité bilatérale congénitale sévère à profonde, sans réhabilitation auditive, le langage oral ne se développe pas.
Les aires auditives non stimulées se réorganisent en cross-modalité avec les aires visuelles et somesthésiques et une redistribution du traitement de l’information auditive vers le cortex frontal. Ces phénomènes sont décrits pour les surdités bilatérales et unilatérales, et variables selon qu’il y ait eu (ou pas) réhabilitation efficace du trouble auditif. Ainsi, l’effet de l’appareillage auditif dépend intimement du délai à sa mise en place(5-9). Dans le cadre des surdités congénitales, il est fondamental d’agir dans les premières semaines de vie. Le principe du dépistage de tous les nourrissons en maternité a fait l’objet de consensus en 2000 et 2007 aux États-Unis(10-12). En France, ce dépistage est inscrit dans la législation depuis 2012, et le cahier des charges publié depuis 2014(13).
Les maternités et les services de néonatologie sont tenus d’organiser ce dépistage néonatal, sous l’égide des Agences régionales de santé (ARS) et en partenariat avec les réseaux de périnatalité. Les otoémissions acoustiques et/ou les potentiels auditifs automatisés sont utilisés. Si les tests initiaux ne sont pas concluants, la famille est dirigée vers le relais local pour un contrôle (ORL ou centre inscrit dans un réseau de soin). En cas de doute persistant après cette seconde étape, un centre expert référent ORL se charge de faire le diagnostic.
Dans la petite enfance
Les troubles auditifs peuvent apparaître secondairement ou être à caractère évolutif, la vigilance reste donc de mise. À l’occasion des examens pédiatriques pour les certificats des 9e, 24e mois et 36e mois, un dépistage des réactions auditives du nourrisson est prévu. Les attendus développementaux et auditifs sont inscrits dans le carnet de santé et doivent être vérifiés. Un dépistage auditif scolaire est également organisé avant l’entrée à l’école primaire. Le médecin qui suit l’enfant doit savoir repérer les facteurs de risque et les signes d’appel d’un trouble auditif aux différents âges (encadré).
L’examen clinique et la pratique de tests simples doivent permettre de repérer une anomalie qui requiert un avis spécialisé. Selon la Haute Autorité de santé (HAS), « la mise en œuvre d’un dépistage systématique doit permettre un diagnostic avant l’âge de 6 mois des surdités moyennes à sévères néonatales, et le dépistage continu, de ne pas différer celui des surdités d’apparition secondaire »(12). Une fois dépistés, les enfants sont adressés aux professionnels ORL pour l’étape diagnostique.
Le diagnostic
L’étape diagnostique comprend des examens à la fois subjectifs et objectifs qui sont adaptés à l’âge de l’enfant et à son contexte clinique. Il s’agit des bilans audiométriques et de langage, des potentiels évoqués auditifs et/ou stationnaires, et des otoémissions acoustiques. Il n’y a pas une surdité, mais des surdités qui peuvent être périphériques, centrales et/ou corticales. Une bonne connaissance des limites et des pièges de ces examens, ainsi que la connaissance des pathologies spécifiques sont indispensables chez le jeune enfant(15). Au terme de ces examens, le trouble auditif est classé en surdité de transmission, de perception ou en surdité mixte (perception + transmission) et en gravité (légère à profonde).
Les surdités de transmission sont en rapport avec une pathologie de l’oreille externe et/ou moyenne et sont d’intensité légère à modérée. Elles peuvent être de résolution spontanée, sinon souvent accessibles à un traitement médico-chirurgical. Plus rarement, elles sont permanentes et en rapport avec une malformation congénitale de l’oreille externe/moyenne. Un appareillage peut être proposé en attendant un éventuel geste chirurgical.
• Les déficiences neurosensorielles concernent l’oreille interne et/ou les voies centrales auditives, et peuvent être légères à profondes. Elles justifient d’une réhabilitation par un appareillage, que ce soit une prothèse auditive (PA) ou un implant cochléaire (IC).
• Les surdités permanentes sont en principe éligibles pour un appareillage ; celui-ci peut être proposé dès l’âge de 2 mois.
En pratique, les surdités bilatérales sévères à profondes sont celles dont le retentissement est le plus rapidement visible, le diagnostic le plus évident et l’appareillage le plus précoce. Les surdités unilatérales et les surdités légères à moyennes sont appareillées en général plus tardivement, du fait de la triple difficulté d’affirmer le diagnostic, d’ajuster l’appareillage, et parfois aussi de la réticence de la famille devant un trouble qui semble peu retentir sur le développement de leur enfant. Ainsi, les surdités profondes et totales sont encore aujourd’hui en France bien mieux prises en charge que les autres surdités. Ces dernières sont pourtant invalidantes chez l’enfant sur le long terme.
L’appareillage auditif
Le diagnostic de surdité posé et, selon les recommandations de la HAS, deux choix s’offrent en théorie aux parents(17) : pas d’appareillage (choix d’une communication gestuelle exclusive) ou appareillage auditif (choix d’une communication orale ou orale + signée). La seconde option, celle de tenter un appareillage, est la plus largement choisie par les familles, sachant que 98 % des enfants concernés par une surdité sont issus de parents entendants ou de parents sourds avec un langage oral.
• Les prothèses auditives sont proposées en binaural pour favoriser la construction stéréo phonique de l’audition. Cette fonction permet d’apporter un confort auditif dans les situations bruyantes et de donner une localisation spatiale. Il est souhaitable que l’audioprothésiste soit rodé à la pédiatrie, car chez le nourrisson et le très jeune enfant et dans le cas de surdité unilatérale, partielle ou d’encoche dans le champ auditif, l’adaptation des appareils peut être délicate. Les évolutions technologiques permettent actuellement d’offrir une panoplie large d’outils de réhabilitation, efficaces sur la plupart des surdités, qu’elles soient légères à sévères, complètes ou partielles, et sur certaines surdités unilatérales (système CROS/ bi-CROS). Lorsque la surdité est sévère à profonde, l’appareillage amplificateur trouve sa limite, et l’implant cochléaire est indiqué. Dans les cas de surdités congénitales bilatérales sévères à profondes, une information complémentaire sur les limites de l’appareillage amplificateur et les résultats possibles avec l’implant cochléaire doit être fournie à la famille avant l’âge de 18 mois(16).
Figure 5. Taux d’appareillage auditif parmi les patients présentant un trouble auditif (Eurotrack France, 2012).
L’implant cochléaire
Il s’agit d’une prothèse implantable composée d’une partie amovible (processeur) et d’une partie implantée stimulant la cochlée (implant). Les informations sonores numérisées sont transmises aux électrodes intracochléaires. Le premier relais synaptique du nerf cochléaire est ainsi directement stimulé, en shuntant les cellules ciliées cochléaires non efficaces. Les critères d’implantation pédiatrique ont fait l’objet d’une recommandation de la HAS en 2007 et 2011(17) :
– surdité sévère ou profonde bilatérale ;
– seuils prothétiques ≥ 60 dB ;
– scores d’intelligibilité de mots en liste ouverte < 50 %.
L’implantation peut être unilatérale ou bilatérale lorsqu’il existe une surdité profonde bilatérale. Les résultats après implant cochléaire dépendent de multiples facteurs dont le principal, pour les enfants sourds congénitaux, est la précocité de la chirurgie. Les travaux dans le domaine des neurosciences montrent en effet qu’il existe une période critique de développement des systèmes sensoriels en général et auditif central en particulier avec l’implantation cochléaire(7,18). L’implant cochléaire est un outil de réhabilitation efficace pour la perception et permet le plus souvent d’obtenir un développement du langage oral chez l’enfant sourd profond congénital. En l’absence de difficulté associée et si la prise en charge est précoce, un cursus scolaire normalisé peut être espéré.
Orthophonie
Dans tous les cas, un bilan orthophonique peut être utile pour quantifier le retentissement du trouble auditif sur le langage. En cas de retard de parole et de langage, une prise en charge orthophonique est indispensable. Le rôle de l’orthophoniste est d’entraîner la voie auditive, de soutenir le développement du langage et de prévenir les troubles de communication. La prise en charge d’un nourrisson sourd demande de l’expérience et des compétences spécifiques. Il est donc important de connaître les professionnels impliqués dans cette pathologie. Différentes orientations de communication sont discutées qui tiennent compte à la fois du degré et des caractéristiques de la surdité, du contexte social et culturel, et du choix parental(16,19,20).
Prise en charge financière des appareils
La surdité permanente bilatérale ouvre droit à un protocole de soins auprès de l’Assurance maladie (SS) jusqu’à l’âge de 20 ans. Les prothèses sont sur la liste des produits et prestations remboursables (LPPR). Elles sont remboursées à 60 % sur la base de tarifs fixés par la LPPR, variables selon l’âge et le handicap. Les tarifs comprennent : l’achat de l’appareil, les accessoires (piles, embout auriculaire, coque...) et la prise en charge par l’audioprothésiste (séances nécessaires à l’appareillage, tous les tests nécessaires au réglage et à l’adaptation, maintenance...). Avant 20 ans, les prothèses auditives sont remboursées à 60 %, sur la base d’un tarif allant de 900 à 1 400 euros, selon la classe de l’appareil prescrit. La surdité donne aussi droit à une reconnaissance par la Maison du handicap (MDPH). Celle-ci permet le versement de la prestation de compensation du handicap (PCH) destinée à financer les aides humaines, techniques, le surcoût lié aux transports, etc. La PCH permet une compensation de la partie non remboursée des appareils auditifs. En cas de surdité bilatérale, la prise en charge financière est celle d’un appareillage bilatéral. Dans les cas de surdités partielles ou unilatérales, ou pour certains appareils utilisés dans les surdités de transmission, le remboursement SS peut être plus limité. Il faut parfois faire appel à des fonds complémentaires privés.
Prise en charge financière de l’implant cochléaire
En France, le coût global d’un implant cochléaire est estimé à 45 000 €. Il comprend les bilans, l’intervention, l’implant lui-même et la période postopératoire (réglages, rééducation). Le coût lié aux accessoires et petites pièces fait l’objet d’un forfait de remboursement SS annuel. Les modalités de prise en charge des implants cochléaires sont définies par l’arrêté du 2/03/2009 relatif à l’inscription LPPR des systèmes d’implants cochléaires (article L. 165-1/code SS/ www.legifrance.gouv.fr).
Autres prises en charge
Une réhabilitation soutenue, précoce et tenant compte des handicaps associés à la surdité permet de rendre cohérent le projet familial d’une langue française orale et d’une intégration scolaire. Le handicap auditif ouvre droit aux prises en charge orthophonique, psychomotrice, au soutien psychologique et scolaire (entre autres). Celles-ci peuvent être organisées en libéral ou en service de soin spécialisé avec accompagnement scolaire : Centre d’action médicosociale précoce (CAMPS), Service d’accompagnement familial et d’éducation précoce (SAFEP), Service de soutien à l’éducation familiale et à l’intégration scolaire (SSEFIS)(16), etc. Le choix de ces orientations est cependant dépendant de la géolocalisation des familles et des places dans les établissements spécialisés. Un dépistage précoce de la surdité permet de se donner le temps d’organiser les modalités d’orientation adaptées à chaque nourrisson.
Conclusion
La surdité est une pathologie fréquente dont les conséquences peuvent être majeures sur le développement de l’enfant. Le diagnostic précoce est un élément pronostique perceptif et linguistique essentiel. En France, chez l’enfant, l’organisation des soins permet un soutien financier et administratif qui rend possible un choix audioprothétique et rééducatif. Le dépistage systématique en maternité doit permettre de repérer précocement les enfants ayant une surdité congénitale. Certains enfants échappent néanmoins au dépistage ou au suivi, d’autres auront une surdité d’apparition secondaire. Médecins ORL, pédiatres, médecins traitants et scolairessont impliqués dans la surveillance développementale de l’enfant. Tous doivent connaître les signes cliniques évoquant la surdité et les possibilités de réhabilitation et de prise en charge pour permettre de limiter le retentissement à long terme de ce handicap.
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