Publié le 11 jan 2016Lecture 11 min
L’ongle incarné de l’enfant
R. BARAN, professeur honoraire de l’Université de Franche-Comté ; Centre de diagnostic et traitement des maladies de l’ongle, Cannes
L’ongle incarné de l’enfant peut être congénital (position intra-utérine anormale, facteurs génétiques, variations au cours du développement normal du gros orteil) ou résulter de facteurs acquis (position ventrale, vêtements serrés, chaussures inadaptées, hygiène unguéale aléatoire)(1). Deux pics sont observés : 0-3 ans et 9-13 ans, avec un sex ratio masculin-féminin de 2:1.
Il existe sept variétés d’ongle incarné chez l’enfant : – le bourrelet latéral congénital du gros orteil ; – l’incarnation unguéale distale ; – l’incarnation unguéale distolatérale ; – la désaxation unguéale congénitale de l’hallux ; – l’ongle en pince ; – l’incarnation unguéale par réflexe de préhension ; – la rétronychie. Dans la mesure du possible, il est important d’éviter les traitements invasifs afin de mettre en oeuvre les méthodes conservatrices, en particulier celles de fixation par bande adhésive selon la méthode d’Arai(2) (figure 1). Elles procèdent d’une technique commune : l’éloignement des tissus agressés de la région vulnérante de la tablette par application d’une extrémité de bande adhésive (par exemple, Elastopore®) sur les tissus mous, puis enroulement de cette bande, étirée obliquement sur la face plantaire de l’orteil ; enfin fixation de l’autre extrémité sur la face dorsale de l’orteil. Deux précautions sont indispensables : éviter l’effet garrot, ainsi que le maintien de deux articulations à la fois. Une traction correcte s’avérant indispensable, le « taping » est renouvelé quotidiennement (ce qui suppose une étroite collaboration avec les parents du sujet). L’existence d’un tissu de granulation n’est pas une contre-indication, bien au contraire. Les bourrelets latéraux congénitaux du gros orteil(3,4) Lorsqu’ils apparaissent à la naissance, les bourrelets latéraux unguéaux sont généralement bilatéraux et symétriques (figure 2 A), ils atteignent plus volontiers le repli latéral interne de l’hallux (figure 2 B). Ils sont œdématiés, fermes, sensibles et parfois rouges. Ils augmentent progressivement et sont même susceptibles de couvrir un tiers de l’ongle. Cette anomalie peut être douloureuse, surtout lors des premiers pas. Elle disparaît spontanément, habituellement, après une ou deux années. L’incarnation unguéale distale(5) Cette anomalie doit être distinguée de la pseudo-incarnation unguéale des prématurés et de certains enfants à terme dont les ongles n’atteignent pas la pulpe digitale distale. Dans sa variété infantile, l’hallux présente un bourrelet pulpaire en avant de la tablette avec, parfois, une certaine hypertrophie des replis latéraux. Ce muret distal empêche la progression du bord libre de l’ongle (figure 3 A). La déformation du tissu normal produite par l’hypertrophie congénitale du tissu distal peut être aggravée dans certains cas par des facteurs acquis comme l’habitude de dormir sur le ventre dans l’enfance. Les modifications apparaissent aux ongles des orteils quand l’enfant procède de façon active à des mouvements de « pédalage » et porte des chaussures ou des vêtements serrés (grenouillère en textile extensible). La croissance correcte de l’ongle du gros orteil à direction normale se fait en général vers l’âge de 6 à 8 mois. Chez l’adolescent, l’incarnation distale ne diffère pas de celle de l’adulte, elle s’observe habituellement après disparition de l’ongle du gros orteil, consécutive à un acte chirurgical, comme l’avulsion ou aux microtraumatismes répétés dont sont victimes certains jeunes sportifs. La disparition de l’ongle, qui est plan de contre-pression, favorise la constitution progressive d’un bourrelet cutané distal sur lequel vient buter l’ongle nouvellement formé. La méthode d’Arai par « ancrage adhésif » pour abaisser le bourrelet semi-circulaire est certainement efficace entre des mains expertes. Elle peut être complétée par la mise en place d’un faux ongle acrylique recouvrant le muret antérieur. En cas d’échec, l’incarnation distale sera traitée par la technique de Dubois, dont l’exérèse en quartier d’orange permet d’obtenir, en fin d’intervention, le désenclavement de la partie distale de l’ongle (figure 3 B et C). L’incarnation unguéale disto-latérale(5) Une coupe d’ongle inappropriée peut laisser un spicule qui agresse le repli latéral et le pénètre à la manière d’un harpon dans la région disto-latérale, à mesure que la tablette avance. Il faut introduire dans la gouttière latérale ou le bord disto-latéral, une mèche de tulle Bétadine®, voire un simple coton imprégné de collodion et proposer des bains de pieds antiseptiques. La présence d’un granulome pyogénique (figure 4) exige un prélèvement suivi d’une culture. Il est utile d’alterner un corticoïde puissant le matin et une mousse à raser antiseptique, sous occlusion avec Blenderm®, le soir. La persistance des signes, souvent accompagnée de l’épithélialisation du tissu de granulation (figure 5) ou bien une récidive de celui-ci, pousse le thérapeute vers l’alternative suivante : une résection tissulaire en hémi-gueule de requin (figure 6) ou une phénolisation de la corne latérale matricielle homologue (figure 7). Nous recommandons plus particulièrement la première option chez la fillette, car elle permet de conserver l’intégralité de la tablette alors que la phénolisation aboutit à un ongle plus étroit. En réalité, l’attaque des parties molles exige parfois une antibiothérapie préalable et concomitante avec pristinamycine, par exemple. Après anesthésie locale, on pratique une résection partielle de 3 mm sur toute la longueur de la tablette, pour permettre la phénolisation des cornes matricielles. Après mise en place d’un garrot, elle s’effectue en protégeant la peau périphérique de vaseline, puis on effectue trois applications de phénol à 88 %, de 30 secondes chacune, en frottant énergiquement la région latérale de la matrice qui s’enroule en croissant à concavité postéro-inférieure sur la base de la phalange osseuse à l’aide d’un coton entourant une pince type Halsted. Dans les cas – très rares – où une amélioration permanente n’est pas obtenue, il faut s’assurer de l’absence d’exostose, après examen radiographique demandé au moindre doute. La mise en place d’une hémigouttière protégeant le bord latéral de la tablette, ainsi que les techniques d’orthonyxie, souvent efficaces, sont du domaine du pédicure-podologue. La désaxation unguéale congénitale du gros orteil(6,7) Le terme de désaxation congénitale de l’ongle de l’hallux, une anomalie héréditaire, insiste sur sa principale caractéristique, la déviation latérale (surtout externe) de la tablette par rapport à l’axe de la phalange distale. Une succession de sillons transversaux, le plus souvent multiples, est un des premiers signes de cette dysplasie ; ils peuvent se développer sur toute la surface de cette tablette triangulaire où les crêtes forment des vagues régulières. Elles semblent faire suite à des épisodes récurrents de souffrance matricielle, conduisant parfois à une onychomadèse latente suivie d’onychoptose ; la position de l’ongle nouveau étant déjà bien avancée lors de la chute de l’ancien, son absence d’adhérence au lit est fréquente. La lame peut être épaissie et présenter une diminution progressive de sa surface dans sa partie distale. L’ongle peut afficher une teinte grise, parfois brunâtre (par hémorragie) ou encore verdâtre (Pseudomonas). En fait, ces modifications seraient d’importance relative si n’existaient des complications locales inflammatoires susceptibles de survenir dès la naissance, aussi bien que chez le sujet âgé, à type d’hémionychogryphose. La désaxation primitive de l’ongle paraît bien être le facteur principal responsable de l’incarnation. La direction de la croissance de la tablette s’effectuant vers l’extérieur, l’ongle ne possède pas la force nécessaire qui lui permette de surmonter le muret qui l’arrête. À ce stade, une technique chirurgicale simple permet de réaligner l’appareil unguéal dans la direction du gros orteil (figure 8). Les meilleurs résultats sont probablement obtenus avant l’âge de 2 ou 3 ans, mais nous avons observé des résultats satisfaisants, même chez l’adulte. Cependant, étant donné qu’une amélioration spontanée, voire une réaxation complète, peut survenir chez près de 50 % des sujets de moins de 10 ans, la décision thérapeutique dépendra de l’importance du degré de désaxation et des complications possibles : – si la désaxation de la tablette est légère et en l’absence de complications, le traitement peut être conservateur ; – si la déviation est importante, l’ongle enfoui dans les tissus mous, la rotation chirurgicale de la matrice désaxée est essentielle pour prévenir une dystrophie unguéale permanente. L’ongle en pince L’ongle en pince est une dystrophie caractérisée par une hypercourbure transversale qui s’accentue à mesure qu’elle gagne la région distale. Les bords de la tablette enserrent les tissus du lit après s’être enfoncés dans les gouttières latérales. Il existe différentes causes d’ongle en pince : les formes héréditaires et les formes acquises. Les premières sont presque toujours symétriques. Des manifestations similaires peuvent se rencontrer chez d’autres membres de la famille. Le gros orteil montre souvent une déviation latérale de la phalange distale, mais la déviation des ongles est encore plus marquée. Lorsque les petits orteils sont impliqués, leur déviation est interne. Cette anomalie peut être congénitale ou apparaître au cours de l’adolescence (figure 9). Notons que l’épidermolyse bulleuse simple (type Dowling-Meara) peut s’accompagner d’ongles en pince légèrement épaissis aux doigts et aux orteils. Contrairement à la forme héréditaire, la variété acquise n’est pas symétrique bien que l’atteinte des ongles des doigts puisse être multiple et paraître relativement symétrique. Plusieurs dermatoses sont responsables des formes acquises avec, en tête, le psoriasis. Des tumeurs de l’appareil unguéal telles que l’exostose et les kystes d’implantation sont également à l’origine des ongles en pince ; le traitement de la cause entraîne la disparition de la dystrophie. Il en est de même pour les onychomycoses à Trichophyton rubrum et de la maladie de Kawasaki, parfois causes d’ongles en pince. Les techniques d’orthonyxie sont susceptibles de corriger l’hypercourbure unguéale. On en distingue trois grandes variétés : le type à fil d’acier, à lamelles stratifiées, et celle à plot et fil de titane. L’incarnation unguéale par réflexe de préhension(8) Le réflexe de préhension (graspreflex) apparaît du 6e jour de la naissance au 4e mois. Il entraîne une compression répétée des doigts et une paronychie responsable d’un œdème du pourtour unguéal de plusieurs doigts (figure 10). En l’absence d’ossification à cet âge, les bords de la tablette s’enfoncent facilement dans les tissus mous qui l’entourent sous l’influence des pressions répétées. La guérison s’effectue spontanément. La rétronychie(9-11) La rétronychie traduit une incarnation unguéale proximale. Elle touche surtout des adultes, mais les enfants et les adolescents sont loin d’être épargnés. L’atteinte uni- ou bilatérale du gros orteil est relativement fréquente, mais la forme digitale n’est pas exceptionnelle. À côté d’une triade maintenant classique – arrêt de la croissance de l’ongle, paronychie subaiguë proximale (figure 11 A), xanthonychie–, on note la présence : – d’un tissu de granulation à la base de l’ongle ; – d’un exsudat inflammatoire sous-unguéal ; – d’une onycholyse ; – d’un soulèvement proximal des ongles empilés les uns sur les autres entraînant l’abaissement de la partie distale adhérente de l’ongle initial et contribuant à l’apparence bulbeuse de l’extrémité digitale ; – de signes fonctionnels, d’intensité variable. Si le diagnostic clinique s’impose dans la plupart des cas, toute hésitation pourrait être levée par l’échographie à haute résolution qui montre un signe pathognomonique : la réduction de la distance habituelle entre le bord proximal de la tablette et la base de la phalange distale. Le traitement est des plus simples, limité à l’avulsion de la tablette dont la face profonde révèle l’encastrement des ongles successifs (figure 11 B).
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