Croissance
Publié le 25 nov 2024Lecture 6 min
Avance staturale : quand faut-il s’inquiéter ?
Thomas EDOUARD, Unité d’endocrinologie, Toulouse*
Bien que leurs fréquences soient par définition identiques, la grande taille est un motif de consultation beaucoup plus rare que la petite taille en pédiatrie. Cependant, l’avance staturale (comme le retard de taille) doit être considérée comme un « symptôme » qui nécessite toujours une exploration. En effet, même si le bilan étiologique est le plus souvent négatif, il est important d’identifier des causes graves (tumeurs) ou des pathologies génétiques associées à des complications spécifiques qu’il est possible de dépister et de prendre en charge précocement (par exemple, un anévrysme aortique dans le syndrome de Marfan ou une infertilité dans le syndrome de Klinefelter). De plus, l’identification de pathologies endocriniennes permet de mettre en place des traitements médicamenteux spécifiques.
*Unité d’endocrinologie, maladies osseuses,Génétique et gynécologie médicale, Centre de référence des maladies endocriniennes rares de la croissance et du développement (CRESCENDO), filière FIRENDO ; Hôpital des enfants, Centre hospitalier universitaire de Toulouse
Définition d’une avance staturale
La grande taille d’un enfant même si elle est en rapport avec une cible génétique haute ne doit pas conduire systématiquement au diagnostic de « grande taille familiale » et doit être explorée systématiquement. En effet, la cible génétique étant dépendante des tailles parentales, il est possible qu’un parent de grande taille soit également porteur d’une maladie génétique transmissible (syndrome de Marfan, par exemple).
Orientation diagnostique
L’étude de la courbe de croissance staturopondérale, l’interrogatoire, l’examen clinique (à la recherche de signes associés) et des examens complémentaires simples (âge osseux) sont primordiaux pour rechercher des arguments en faveur d’une grande taille pathologique.
L’interrogatoire recueille les antécédents familiaux (notion de consanguinité, antécédents de maladie génétique, tailles des parents avec calcul de la taille cible) et personnels (mode de procréation naturel ou assisté, déroulement et terme de la grossesse, mensurations à la naissance, pathologie néonatale, acquisitions psychomotrices et apprentissages, alimentation, antécédents médico-chirurgicaux, traitements, etc.), ainsi que le contexte psychosocial et le retentissement psychologique de l’avance staturale.
L’analyse de l’aspect de la courbe de croissance, qui reflète la vitesse de croissance, est également importante. Chez un enfant avec une grande taille, une accélération rapide de la vitesse de croissance oriente vers une pathologie acquise (notamment endocrinienne), alors qu’une croissance régulière évoque plutôt une pathologie constitutionnelle.
Un examen clinique de tous les systèmes est réalisé à la recherche des signes associés aux différentes causes d’avance staturale. Le développement des caractères sexuels secondaires est coté selon la classification de Tanner pour évaluer le développement pubertaire. La mesure des segments corporels (principalement l’envergure) est systématique chez tout enfant présentant une anomalie de la croissance staturale pour pouvoir objectiver une disproportion corporelle. L’envergure, qui correspond à la distance séparant l’extrémité des deux majeurs, patient debout bras tendus, est environ égale à la taille debout. Dans le cadre d’une grande taille, un rapport envergure sur taille augmenté (> 1,05) oriente vers certaines pathologies génétiques (syndrome de Marfan, par exemple). Dans le cadre d’une avance staturale, la mesure du périmètre crânien est également systématique. L’existence d’une macrocéphalie (définie par un périmètre crânien > 2DS) est importante à connaître car elle permet d’orienter la recherche étiologique.
La détermination de l’âge osseux, évalué à partir de l’atlas de Greulich et Pyle, fait habituellement partie de la consultation d’un enfant avec une anomalie de la croissance (petite ou grande taille). Une avance d’âge osseux, associée à une accélération de la vitesse de croissance oriente vers une pathologie endocrinienne. Il renseigne également sur le potentiel de croissance de l’enfant.
Grands cadres étiologiques
Les pathologies associées à une avance staturale sont principalement d’origine endocrinienne ou génétique. Le diagnostic de grande taille idiopathique ou familiale, même s’il est le plus fréquent, est un diagnostic d’élimination. Une démarche diagnostique est proposée dans la figure 1.
Figure 1. Orientation diagnostique chez un enfant présentant une avance staturale.
Causes endocriniennes
Une accélération rapide de la vitesse de croissance associée à une avance d’âge osseux oriente vers une pathologie endocrinienne. L’évaluation clinique recherche alors les signes associés aux différentes étiologies :
– obésité (figure 3) : augmentation de l’indice de masse corporelle (IMC) précédant l’accélération de la vitesse de croissance staturale ;
– puberté précoce (figure 3) : développement des seins avant l’âge de 8 ans chez la fille et augmentation du volume testiculaire (> 4 ml) avant l’âge de 9 ans chez le garçon ;
– hyperandrogénie (figure 5) : acné, hirsutisme, hypertrophie clitoridienne chez la fille ;
– hyperthyroïdie (figure 4): perte de poids et signes fonctionnels d’hyperthyroïdie (hyperactivité, troubles du sommeil, tachycardie, diarrhée), diminution des résultats scolaires, goitre et exophtalmie ;
– acromégalogigantisme (très rare chez l’enfant) : aspect acromégaloïde avec traits grossiers, élargissement du nez et du menton, peau épaisse, extrémités grandes et larges. Les explorations hormonales à réaliser dépendent de l’orientation diagnostique.
Figure 2. Fille de 8,5 ans adressée pour accélération de la vitesse de croissance et grande taille.
Figure 3. Garçon de 3 ans adressé pour accélération de la vitesse de croissance et grande taille.
Figure 4. Fille de 8,5 ans adressée pour accélération de la vitesse de croissance et grande taille.
Figure 5. Fille de 7 ans adressée pour accélération de la vitesse de croissance.
Causes génétiques
Une pathologie génétique est principalement évoquée devant les signes associés à la grande taille (notamment grande taille disproportionnée, retard des acquisitions psychomotrices et des apprentissages, signes faciaux, macrocéphalie, signes squelettiques, malformations). Dans ces pathologies, la vitesse de croissance est le plus souvent régulière et l’âge osseux en rapport avec l’âge chronologique (à l’exception de certaines causes syndromiques associées à une avance d’âge osseux comme le syndrome de Sotos).
L’association d’un retard des acquisitions psychomotrices ou des apprentissages à une grande taille oriente rapidement vers une pathologie génétique. Par contre, il convient d’être vigilant aux pathologies sans déficit intellectuel associé qui peuvent passer inaperçues (syndrome de Marfan et de Klinefelter, par exemple - figure 6).
Figure 6. Fille de 8,5 ans adressée pour accélération de la vitesse de croissance et grande taille.
En fonction de l’orientation diagnostique, des examens complémentaires peuvent être prescrits (par exemple : consultation ophtalmologique avec fond d’œil et échographie cardiaque dans le syndrome de Marfan). Une consultation en génétique permettra de préciser le diagnostic et de discuter l’analyse génétique appropriée.
Traitement de la grande taille
Dans les pathologies endocriniennes, la correction de l’hypersécrétion hormonale permet la stabilisation de la vitesse de croissance. De plus, dans ces pathologies (à l’exception de l’acromégalogigantisme), le ris que à long terme est plutôt la petite taille à l’âge adulte.
Dans les pathologies génétiques, à l’exception du syndrome de Marfan, la grande taille est rarement au premier plan du tableau clinique.
Un traitement symptomatique de la grande taille (traitement freinateur de la croissance) peut parfois être discuté, notamment dans les grandes tailles constitutionnelles, lorsque le pronostic de taille adulte est très élevé et qu’il existe un retentissement psychologique important. Cependant, il n’existe pas de consensus pour définir une taille adulte « trop élevée », qui dépend principalement du retentissement psychologique et social de cette grande taille (avec de grandes variations individuelles et en fonction de l’âge). Actuellement, les indications de traitement sont de plus en plus rares avec des possibilités thérapeutiques limitées. Dans tous les cas, elles doivent être discutées au cas par cas avec des équipes spécialisées.
Pour en savoir plus :
• Brioude F et al. Overgrowth syndromes - clinical and molecular aspects and tumour risk. Nat Rev Endocrinol 2019 ; 15(5) : 299-311.
• Manor J, Lalani SR. Overgrowth Syndromes-Evaluation, Diagnosis, and Management. Front Pediatr 2020 ; 8 : 574857.
• Edouard T. Avance staturale et grande taille de l’enfant. EMC Pédiatrie 2024, 4-005-A-30.
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