Publié le 22 mar 2024Lecture 11 min
JFRN : la relation parents-enfants au cœur de la prise en charge
Mathilde LETOUZEY, Hôpital Poissy, Saint-Germain-en-Laye
Comme chaque année, Pédiatrie Pratique vous propose un compte rendu des communications marquantes présentées aux Journées francophones de recherche en néonatologie (JFRN, décembre 2023). Avec Bjorn Westrup en invité d’honneur, le congrès a notamment mis l’accent sur les soins centrés sur l’enfant et sa famille, une orientation qui s’affirme en néonatologie.
Les infections congénitales à CMV
• D’après la communication de Yves Ville (Paris)
L'infection congénitale à CMV peut survenir à tout moment pendant la grossesse mais les risques varient selon le trimestre de grossesse auquel elle survient : le taux de transmission augmente au fur et à mesure de la grossesse (36 % au 1er trimestre mais 66 % au 3e trimestre), mais les troubles du neurodéveloppement de l’enfant surviennent principalement lors d’une infection au 1er trimestre avec embryofœtopathie. Les troubles du neurodéveloppement touchent alors près de 23 % des fœtus infectés. En revanche, le risque de trouble du neurodéveloppement est quasi-nul aux 2e et 3e trimestres. Cependant, il est très difficile de dater précisément l’infection maternelle. Le diagnostic d’une primo-infection avant 14 SA re pose sur la mise en évidence d’une séroconversion (apparition d’IgG) ou la présence d’IgM et d’IgG avec une avidité basse.
L’immunité n’est pas toujours protectrice, mais le risque individuel de l’infection à CMV est 3 à 4 fois plus important en cas de primo-infection.
D’après Y. Ville, l’épidémiologie de l’infection permet d’identifier une population à très haut risque : âge maternel < 35 ans, haut niveau socio-économique, femme qui travaille, qui était séronégative lors de la 1re grossesse, avec un enfant gardé en crèche, et un délai de moins de 3 ans entre deux grossesses. Ces patientes présentent 10 % de risque de primo-infection et 3 % de risque que leur fœtus soit contaminé lors du 1er trimestre. Les mesures d’hygiène primaire (comme le lavage des mains, ne pas embrasser son enfant) sont inefficaces et culpabilisantes, car ces conseils arrivent trop tard dans la grossesse.
En cas de diagnostic de séroconversion CMV, la prévention secondaire est efficace par valaciclovir dès le diagnostic. Ce traitement diminue de 25 à 11 % le taux de prélèvement positif à l’amniocentèse réalisée à 17 SA. Le diagnostic de l’infection congénitale à CMV repose sur la PCR CMV. Si la PCR est négative à 17 SA, il n’y a pas d’infection et donc pas de trouble du développement, d’après Y. Ville. Le traitement par valaciclovir peut alors être arrêté. La prévention tertiaire reste utile en cas de PCR CMV positive à l’amniocentèse, la poursuite du traitement par valaciclovir permet de bloquer la réplication virale et de diminuer le risque de lésions neurologiques sévères.
Un MOOC porté par l’Université Paris-Cité est disponible en ligne gratuitement sur cette thématique (https://www.pnsmooc.com/fr/mooc/30/presentation).
Le projet Voix des parents : redéfinir ce qui est important après une naissance prématurée
• D’après la communication d’Annie Janvier (Montréal, Canada)
Annie Janvier est une néonatologiste québécoise qui a elle-même été confrontée à la naissance extrêmement prématurée de sa fille (à 23 SA il y a 18 ans). Après avoir retracé son parcours de mère en unité de néonatologie, elle a présenté ses travaux de recherche portant sur l’identification des issues importantes pour les familles. Aujourd’hui, les outcomes mesurés dans les cohortes et essais sur la population des grands prématurés évaluent la morbidité sévère pendant l’hospitalisation (dysplasie bronchopulmonaire, rétinopathie du prématuré, lésions neurologiques sévères, etc.) et classent les enfants selon les atteintes neurodéveloppementales au long cours : pas de handicap, handicap mineur, modéré et sévère. Ce qui est mesuré influence nos décisions de vie et de mort dans les situations de limitation des thérapeutiques de réanimation : les jugements sont faits en se basant sur ces mesures, il n’est pas demandé aux parents ce qui importe pour eux. Mais pourquoi avons-nous choisi les atteintes neurodéveloppementales comme mesure du « succès » ? De cette question est né « The parents’ voice » (projet Voix des parents), dont l’objectif est d’investiguer les paramètres importants pour les parents/les familles. Les résultats sont étonnants. La corrélation entre la classification du handicap de l’enfant selon l’examen médical et, selon l’avis des parents, n’est pas très bonne à 18 mois : lorsque l’enfant était classé sans handicap, 82 % des parents étaient d’accord. Mais lorsque l’enfant était classé avec des troubles sévères, seulement 11 % des parents étaient d’accord, pensant que l’atteinte de leur enfant D. R. était moins sévère. Les messages clés issus de ces travaux sont nombreux à retenir. Les parents ont une perception généralement positive de leur enfant. Notre manière de les catégoriser en néonatologie ne représente pas le vécu parental et nombre de critères importants ne sont pas évalués (nombre d’intubation, difficultés alimentaires et troubles de l’oralité, troubles du sommeil). Les parents décrivent des impacts à la fois positifs et négatifs de la prématurité. La moitié d’entre eux sont satisfaits de l’information reçue mais souhaitent plus de guidance pratique et plus d’optimisme : souligner ce qui va bien, pas seulement ce qui va mal, quelles sont les prochaines étapes pour leur bébé, mais aussi des informations pratiques pour le retour à la maison.
Prise en charge des enfants avec une infection congénitale à CMV
• D’après les communications de Melinda Besnard (Toulouse) et Natacha Tessier (Paris)
Chaque année, parmi les 750 000 naissances en France, 3 750 infections congénitales à CMV sont identifiées, dont 931 enfants (25 %) présenteront des séquelles neurosensorielles liées à cette infection. Le diagnostic repose sur l’anamnèse obstétricale. Les enfants sont le plus souvent asymptomatiques mais certains signes doivent être recherchés : des signes cliniques (petit poids pour l’âge gestationnel, petit périmètre crânien), biologiques (anémie, thrombopénie, cytolyse hépatique), des signes échographiques (calcifications intracérébrales, anomalies de la substance blanche, hypoplasie cérébelleuse, atteinte des vaisseaux lenticulostriés), des anomalies du dépistage auditif (OEA, PEA) ou encore la présence d’une choriorétinite au fond d’œil. Le diagnostic biologique peut être réalisé dans les 3 premières semaines de vie, soit par PCR salivaire (mais doit être réalisée au moins 1 h après la mise au sein) soit par PCR dans les urines.
Le traitement postnatal est indiqué en cas d’infection congénitale modérée à sévère (atteintes multiples avec hépatosplénomégalie, thrombopénie, atteinte hépatique ou microcéphalie, ventriculomégalie, calcifications intracérébrales, atteintes corticales ou cérébelleuses, choriorétinite, surdité, présence de CMV dans le LCR). Le traitement par valganciclovir doit être initié chez le nouveau-né dans le 1er mois de vie. De nombreux protocoles existent sans recommandations claires.
Le CMV est responsable de 20 % des surdités congénitales. Le dé lai d’apparition de cette surdité est variable : 15 mois chez les nouveau-nés symptomatiques et 20 mois chez les nouveau-nés asymptomatiques. La moitié des enfants ont une aggravation de la surdité avec le temps, mais aucun diagnostic de surdité liée au CMV n’est posé après l’âge de 5 ans. De nombreuses surdités unilatérales deviennent bilatérales avec le temps, ce qui implique une surveillance rapprochée de l’évolution jusqu’à l’âge de 6 ans.
Une atteinte vestibulaire est également à rechercher chez ces enfants car elle peut conduire à un retard posturomoteur. Elle doit être recherchée devant un retard sur la tenue de tête, la position assise, la marche aidée et la marche sans aide.
Prise en charge des enfants avec une infection congénitale à CMV
• D’après les communications de Gisèle Apter (Le Havre), Catherine Deneux (Paris) et Sarah Tebeka (Paris)
La période périnatale ne protège pas des troubles mentaux, c’est tout le contraire. Le « baby-blues » est très fréquent, touchant 50 à 80 % des femmes, les signes apparaissent quelques jours après la naissance, jamais en anténatal et pour une durée brève. Il s’agit probablement d’une adaptation à la maternité.
La dépression du postpartum est bien différente. Elle touche 10 à 20 % des femmes pendant la période périnatale. Le début anténatal est fréquent (35-40 % des cas) et la durée peut être prolongée jusqu’à 12 mois après l’accouchement. Les symptômes sont divers : tristesse de l’humeur ou irritabilité, anhédonie/perte de plaisir, culpabilité (impression de ne pas bien faire les choses), perte d’intérêt, troubles de la concentration (oubli des informations simples), ralentissement psychomoteur, troubles de l’appétit, du sommeil. L’anxiété est souvent présente, centrée sur la santé de l’enfant, avec des ruminations (difficultés à être rassurées), des phobies d’impulsion (la peur du passage à l’acte, de faire mal au bébé – il faut rassurer les patientes sur le fait qu’elles sont protégées dans ce cas du risque de passage à l’acte). Elles présentent souvent des douleurs physiques (« j’ai mal au dos, au ventre, mon bébé a mal au ventre »…).
D’après les données de l’Enquête nationale périnatale en 2021, 16,7 % des femmes présentaient des signes de dépression à 2 mois du postpartum et L 1 femme sur 20 présentait des idées suicidaires.
Le suicide représente aujourd’hui la 1re cause de décès maternel, avec un suicide maternel chaque mois. Il survient après un délai médian de 4 mois dans le postpartum majoritairement au domicile, dans des conditions violentes (pendaison, défenestration, etc.). Les femmes présentaient une vulnérabilité sociale accrue (isolement), avec des contextes obstétricaux particuliers (primiparité, grossesse gémellaire, deuil périnatal), et des comorbidités addictives plus fréquentes. Dans l’enquête confidentielle sur les morts maternelles, 91 % des suicides ont été jugés possiblement ou potentiellement évitables, permettant de développer des pistes d’amélioration.
Des questions simples peuvent être posées en pré- ou en postpartum : Avez-vous déjà vécu un événement difficile important dans votre vie ? Avez-vous eu des difficultés ou des problèmes alimentaires à l’adolescence ? Avez-vous déjà consulté un psy ? Avez-vous déjà eu des idées de mort ? Avez-vous déjà eu des idées de suicide ? Avez-vous déjà pris des drogues ? En consommez-vous encore ?
Le dépistage systématique est recommandé. Il faut repérer des signes d’alerte pendant le séjour en maternité mais aussi lors des consultations de suivi du nouveau-né : variations thymiques (de l’humeur) de la femme, anxiété et crises d’angoisse, verbalisation d’idées noires ou d’autodépréciation, modification brutale du contact ou repli, troubles du sommeil ou troubles alimentaires, inquiétude de l’équipe. Ces signes doivent être pris au sérieux. On peut s’aider d’outils d’évaluation (comme l’EPDS [Edinburgh postpartum depression scale], par exemple) et adresser ces patientes systématiquement au psychologue ou au psychiatre. En maternité, il est important dans ces situations de reporter la sortie et d’éviter les sorties le week-end. Il faut également s’assurer du suivi au domicile (faire le lien avec la sagefemme libérale, le médecin traitant). Prévenir la patiente et l’entourage de la spécificité de la période postnatale et de ne pas hésiter à consulter. Il est également possible d’orienter vers les associations (deuil périnatal, maman blues).
Zéro séparation de la naissance à la sortie d’hospitalisation pour les grands prématurés
• D’après la communication de Björn Westrup (Stockholm, Suède)
Le rationnel scientifique et les évidences issues de l’expérience suédoise ont été présentés dans cette « conference guest ». En Suède, le peau-à-peau est pratiqué le plus tôt possible, et le plus souvent dès la naissance, par chacun des parents, pour une durée de 8 à 24 heures par jour. L’objectif des soins centrés sur l’enfant et sa famille est d’assurer à chaque nouveau-né la meilleure santé et le meilleur développement jusqu’à l’âge adulte, en optimisant les soins individuels et le système hospitalier. Cette façon de prendre en soins est appelée « infant and family centered developmental care » (IFCDC). Ces soins reposent sur 3 principes : 1) les soins sensibles basés sur la communication comportementale du bébé ; 2) les soins sont individualisés, ce qui donne au bébé une voix propre ; 3) l’engagement des parents au quotidien est essentiel pour leur bien-être parental, pour la relation parent-bébé et pour la santé du nouveau-né et le futur développement de l’enfant. La présence familiale est possible à Stockholm 24 h/24 h dans des chambres individuelles. Il a été mis en évidence que ces soins centrés sur la famille avaient de nombreux effets positifs sur l’enfant : diminution du risque de dysplasie bronchopulmonaire, réduction de la durée totale de séjour, régulation améliorée et adaptée du stress de l’enfant. Ils ont également des effets positifs sur la mère avec une amélioration du taux d’allaitement maternel à 3 mois de la sortie des services de néonatologie, une réduction de l’anxiété maternelle, et un renforcement du sentiment de compétences.
Les hémorragies intraparenchymateuses
• D’après les communications de Véronique Pierrat (Créteil), Marie Chevallier (Grenoble), Stéphane Marret (Rouen) et Mickaël Dinomais (Angers)
Les hémorragies intraparenchymateuses (HIV4) touchent 4 % des nouveau-nés grands prématurés (nés avant 32 SA) en France d’après les données de l’étude EPIPAGE-2, avec un effet majeur de l’âge gestationnel de naissance. Il existe une grande variabilité régionale de ce taux. Au total, 90 % des HIV4 surviennent dans les 96 premières heures de vie. Une prévention postnatale est possible avec des soins « brain friendly » à plusieurs niveaux : tout d’abord, en anténatal, avec la corticothérapie anténatale avant 34 SA, l’administration de sulfate de magnésium avant 32 SA, la prise en charge des infections intra-utérines et la régionalisation des soins. La période postnatale immédiate est également critique (« golden hour ») avec l’importance du clampage tardif du cordon (sans milking ou traite du cordon), et de la normothermie et normoglycémie. Pendant l’hospitalisation, il est nécessaire de veiller à la normocapnie, d’éviter les à-coups tensionnels, les flushs et prélèvements sur les voies, limiter les infections nosocomiales. Enfin, les soins de développement permettent de diminuer les risques de lésions intraparenchymateuses : diminuer les nuisances sensorielles (bruit, lumière), prise en charge de la douleur, installation en peau-à-peau et positionnement (tête bien alignée, privilégier les changes de couche sur le côté plutôt qu’en levant les jambes, par exemple).
Les troubles du neurodéveloppement ont des origines multifactorielles. Les troubles moteurs et cognitifs ne sont pas systématiquement présents en cas de lésions intraparenchymateuses mais leur présence augmente le risque, avec une place importante des facteurs socio-culturels. Les troubles du neurodéveloppement sont plus fréquents en cas d’atteinte bilatérale qu’unilatérale. La prise en charge des enfants présentant des lésions intraparenchymateuse en rééducation agit à plusieurs niveaux et ont pour objectifs d’éviter les déficits secondaires et surhandicap : orthèse de posture pour limiter l’aggravation orthopédique (maintien les muscles en position allongée et/ou articulation en position neutre), aides techniques/appareillage de fonction afin d’améliorer la fonction et l’activité (station assise, debout, déplacement), enfin traitement de la spasticité si gênante ou si risque de déformation orthopédique avec la croissance. La rééducation des déficits primaires est possible pour améliorer la motricité par ergothérapie, kinésithérapie, psychomotricité, et prendre en charge les troubles cognitifs et troubles de la communication et le plus tôt possible. Cependant les interventions précoces systématiques n’ont pas prouvé leur efficacité à long terme ; les soins ciblés après dépistage sont à préférer, rappelant l’importance du suivi au long cours de ces enfants vulnérables.
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