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Neurologie

Publié le 04 oct 2024Lecture 10 min

Agentivité de l’enfant - Nouveau concept important pour les soins pédiatriques ou terme nouveau pour une pratique déjà existante ?

Georges PICHEROT, CHU de Nantes

Le terme agentivité est la traduction de l’anglais : agency. Il ne fait pas partie de notre vocabulaire usuel pédiatrique. Il est très utilisé par d’autres disciplines : philosophie, sociologie, psychiatrie, neurosciences, histoire, etc. Les praticiens de ces spécialités nous ont interrogé et fait participer à des échanges dans un but de recherche(1) autour du repérage de l’agentivité dans les parcours de soins pédiatriques. Notre question porte sur l’intérêt d’introduire cette notion dans nos réflexions autour des soins de l’enfant. Nouveau concept, important à introduire pour les soins de l’enfant ou seulement mot nouveau pour exprimer une idée déjà développée différemment ?

Recherche d’une définition utilisable   Il existe plusieurs manières de définir l’agentivité selon les groupes qui l’utilisent. La plupart des définitions font référence aux adultes et elles concernent rarement une approche somatique. Pour Bandura, la « notion d’« agentivité » reconnaît la capacité des individus à anticiper et à ajuster leurs actes ». Il poursuit : « être un agent signifie faire en sorte que les choses arrivent par son action propre et de manière intentionnelle » et cela en interaction « avec son environnement tout en dépassant ses propres déterminismes et conditions d’existence »(2). Les sociologues parlent d’une « capacité à se sentir l’auteur de ses actions, capacité de prédire leurs conséquences et la construction d’un récit de vie, et de construire du sens de la réalité sociale », ainsi que « la faculté d’action d’un être ; sa capacité à agir sur le monde, les choses, les êtres, à les transformer ou les influencer », « capacité d’agir, par opposition à ce qu’impose la structure ». A. Klein reprend la définition de l’agentivité au travers de l’histoire de la recherche d’autonomie face aux soins : « trois grandes périodes correspondant à trois types de revendications d’autonomie des patient.es à l’égard du monde médical : la solidarité, d’abord, qui émane des premières associations de malades qui voient le jour dès la fin de la Première guerre mondiale ; l’agentivité ensuite, revendiquée massivement par les mouvements féministes des années 1960-1970 ; puis l’autorité, à laquelle tentent finalement d’accéder les associations de malades du sida dans les années 1980-1990 »(3). Ces définitions paraissent peu adaptées à l’enfant. Annie Dumont explique que, dans le travail social, ce terme se « réfère au rôle que les enfants pourraient avoir dans le façonnement de leur propre destin donc et d’exercer une autorité sur eux-mêmes et d’influencer leur environnement social »(4). On peut proposer de garder pour la pédiatrie la définition de Carnaval-Lamarche(5) : « capacité des enfants d’agir délibérément, de parler en leur nom, de réfléchir de façon active sur leur manière de vivre leur maladie et ses conséquences sur leur existence et celle des autres. L’agentivité, ainsi comprise doit avoir un caractère dynamique, adapté et adaptable au contexte » et à l’âge. Ceci implique de « savoir écouter leurs besoins spécifiques et de s’y référer ».   Agentivité et littérature médicale   Quelques articles médicaux abordent l’agentivité de l’enfant. Le concept est utilisé en neurosciences et en psychiatrie. « C’est la psychopathologie du développement qui a intégré cette notion dans son approche de l’autisme. Il s’agit alors de repérer à quel moment un enfant peut adopter le point de vue de l’autre. C’est-à-dire quand il peut à la fois se représenter sa pensée, se mettre à sa place en quelque sorte et aussi distinguer ses propres pensées de celles d’autrui »(6). Des recherches en neurosciences lieraient développement cérébral et agentivité. Est-elle innée ou acquise avec la maturation d’un « centre de l’agentivité » ? L’enfant apprendrait à distinguer ses actions et les actions étrangères sur son corps (par exemple, au toucher). La crainte de l’enfant de développer son agentivité face à l’omniprésence des adultes pourrait être un obstacle au développement de l’agentivité. On parle aussi du concept de « self agency » qui serait développé dans la première année et par lequel le nourrisson devient l’acteur conscient de ses actions (Je bouge le bras quand je commande) ou aux conséquences de ses actions (quand je ferme les yeux, il fait noir). Des travaux ont été publiés dans le contexte de maladies chroniques. C. Dedding étudie comment les enfants diabétiques exercent leur agentivité lors des consultations, ainsi que les ressources dont ils disposent(7). Pour lui, le diabète de type 1 est la meilleure application du concept d’agentivité car « la majeure partie du traitement n’est pas faite par des professionnels de la santé à l’hôpital, mais par les patients eux-mêmes dans leur vie quotidienne ». Il étudie la « manière dont les enfants participent déjà, comment ils affrontent, changent et réinventent les règles de traitement, et dans quel but (…) ». Il en déduit des informations importantes sur le « monde de la vie des enfants diabétiques, sur leurs aspirations, leurs dilemmes et leurs choix ». « De nombreux enfants ne se sentaient pas invités à participer activement aux consultations avec des professionnels de santé ou n’avaient pas le courage de s’exprimer librement ». Ils inventent des « moyens créatifs pour justifier leurs sentiments, leurs expériences et leurs objectifs personnels dans la vie ». Cronly fait un travail proche en étudiant une cohorte d’adolescents et de jeunes atteints de mucoviscidose(8). Il constate que l’agentivité concerne des domaines différents selon l’âge dans deux périodes. Pour les adolescents de 10 à 13 ans, la priorité de leurs demandes porte sur des « questions personnelles, sur la modification de leurs corps et de leur vie privée ». Les 14-17 ans s’expriment plus sur leur autonomie de décision en matière de santé, avec des remarques sur les conflits avec les parents et les soignants. Les auteurs relèvent que « pour que les jeunes se sentent soutenus et responsabilisés dans la gestion de leur maladie, leur capacité croissante à exercer leur pouvoir doit être respectée et encouragée par le biais d’une décision collaborative »(8). Cette remarque a été prise en compte par les programmes pédiatriques de transition autour des maladies chroniques. A. Dumont publie en 2022 une étude sur l’agentivité des jeunes exposés dans leur enfance à la violence conjugale(4). Elle leur fait rédiger un « calendrier historique de vie » qui va retrouver à partir de leurs expériences les adaptations qu’ils ont pu organiser dans leur parcours. La réalisation de ce calendrier de vie leur permet d’identifier des actions volontaires qui expriment leur agentivité. Les jeunes vont décrire des actions de protection pour eux-mêmes, ainsi que pour leur entourage (fratrie). A. Dumont distingue trois types d’agentivité : l’agentivité identitaire, une façon de réagir à la violence en trouvant des moyens adaptés à leur personnalité pour se sentir mieux ou se protéger, ou encore pour protéger ou aider d’autres membres de la famille ; l’agentivité pragmatique, qui se traduit par la conscience du caractère inacceptable de la violence et les modifications de stratégies en s’y opposant ou en affirmant plus explicitement leurs besoin ; et l’agentivité du parcours de vie les mettant en cohérence avec les valeurs importantes pour eux, qui leur permettront de devenir la personne qu’ils veulent être(4). Ce travail montre aussi l’importance du parcours des enfants pour sortir du tout victimaire.   Ce qui n’est pas nommé agentivité mais s’en rapproche !   L’histoire pédiatrique autour de la prise en charge de la douleur des enfants pourrait s’interpréter comme une découverte progressive de leur agentivité ! Beaucoup de soignants pensaient (à tort) que les enfants ne ressentaient pas la douleur, en particulier les nourrissons. Une de ces explications à cette erreur inacceptable porte sur le fait qu’on ne connaissait pas les expressions spécifiques de la douleur chez les plus petits enfants. On calquait alors leurs expressions sur celles des adultes. Dans les trente dernières années, les progrès ont été importants en particulier par l’établissement d’échelles d’évaluation adaptées à l’âge et la reconnaissance d’une sémiologie spécifique (https://pediadol.org/evaluation/). Des échelles ont aussi été adaptées à des situations particulières dans lesquelles les expressions sont modifiées : autisme, polyhandicap (échelle de San Salvadour). On peut intégrer ce progrès important dans une identification et une acceptation d’une action des enfants pour exprimer la douleur. Il y a d’autres explications à ce déni de la douleur : idée d’inéluctabilité, notion de douleur utile (!), absence de moyens, etc. Le programme de diversification menée par l’enfant (DME) pourrait se rapprocher aussi du concept d’agentivité. Dans ce programme initié aux États-Unis, les parents laissent l’enfant organiser la diversification à partir de 6 mois. Il doit choisir lui-même des aliments dans une gamme proposée et décider des quantités ingérées (l’apport lacté est poursuivi). Il ne se sert pas d’une cuillère (finger foods) et les repas ne sont pas mixés. On suppose que spontanément il gérera ses besoins en étant l’agent de sa diversification. Les résultats de cette méthode sont mitigés et ont amené les sociétés savantes pédiatriques à la déconseiller, en particulier dans les collectivités accueillant des enfants. Les choix des enfants ne se font pas vers les aliments dont ils ont besoin sur le plan nutritionnel. Il y a aussi des risques de suffocation. « En considérant l’absence de définition précise de la DME, l’absence d’études prouvant un bénéfice ou démontrant son innocuité, les risques d’apports nutritionnels non adéquats, et les risques d’accidents graves par inhalation, on ne peut recommander la DME en tant que telle comme alternative à la diversification traditionnelle des bébés » (https://www.mpedia.fr/art-dme-nouveau-modediversification). L’un des obstacles au développement de l’agentivité est la confrontation des enfants à des choix inadaptés à leur âge (voir plus loin). L’éducation thérapeutique a été particulièrement développée autour des maladies de l’enfant. Elle a pour objectif d’aider « les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique ». La démarche éducative pour l’enfant « est adaptée à son âge, sa maturité et sa capacité d’autonomisation. Elle tient compte de son environnement familial et extra-familial. Cette démarche intègre les parents de l’enfant selon des modalités variables : chez le nourrisson, la dépendance est complète et l’éducation est centrée sur les parents ; plus tard, l’enfant puis l’adolescent est guidé dans l’apprentissage de son autonomie, les parents pouvant assurer un encadrement plus ou moins distant. Quel que soit l’âge de l’enfant, les parents ne doivent pas être déresponsabilisés ou déchargés vis-à-vis de la maladie de leur enfant ». Dans les éducations en santé (dont l’éducation thérapeutique), l’agentivité « renvoie à la possibilité dont disposent les sujets pour agir, par exemple s’approprier, négocier ou résister à un message éducatif ; modifier ou garder le comportement visé ; participer ou ignorer l’intervention (…) » (https://www.has-sante.fr/jcms/ r_1496895/fr/education-therapeutique-du-patient-etp). L’agentivité chevauche aussi d’autres concepts plus utilisés dans les soins de l’enfant : l’autonomie avec sa progressivité, les possibilités de consentement et donc aussi de refus, le discernement. L’empowerment est un autre nouveau terme peu utilisé pour l’enfance mais qui exprimerait un pouvoir d’agir plus social et collectif.   Obstacles et limites du « concept » d’agentivité   Les obstacles à la reconnaissance d’une agentivité de l’enfant recoupent les difficultés d’autonomisation et de participations aux décisions. Le principal obstacle est l’âge. L’action d’un nourrisson est différente et plus limitée mais existe ! La notion d’enfant partenaire de soins est à développer. Un autre obstacle est la triangulation enfant-parents-soignant, base du fonctionnement pédiatrique, mais qui peut aussi limiter les possibilités d’action de l’enfant. On peut aussi ajouter que la priorité essentielle donnée à la protection de l’enfance peut, dans certains cas, limiter le développement d’une agentivité. Le travail déjà évoqué de A. Dumont est particulièrement intéressant sur ce point. Le concept d’agentivité a des limites. Une réflexion éthique est nécessaire pour le développement du concept chez l’enfant. La crainte que l’on peut avoir est l’utilisation de la notion « si on veut, on peut » enfermant l’enfant dans une injonction d’action et de responsabilité en cas d’échec. Le respect absolu de l’enfant défini comme tout personne mineure pourrait être mis en péril par les manipulations malveillantes de ce terme. Si la protection de l’enfance ne doit pas faire obstacle au développement de l’agentivité, son rôle est de faire respecter un statut social et juridique particulier, mais aussi médical. L’expérience de la DME montre aussi que mettre l’enfant en face de choix impossibles est également un non-respect de son statut d’enfant. Daniel Marcelli parle de « toxine développementale » ou de l’intoxication par le choix.   En conclusion   L’introduction du concept d’agentivité peut amener à développer la participation des enfants à leurs soins. « Il faudrait que les soignants étendent leur capacité à écouter les enfants, en particulier dans les contextes des soins hospitaliers, en mettant en œuvre des formes de reconnaissance de compétences »(9). Ceci ne doit pas se limiter à l’éducation aux soins mais en allant plus loin pour qu’ils puissent être des acteurs de leurs soins. La seule limite est le respect inconditionnel de leur statut d’enfant et de leur droit à être protégés. Liens d’intérêt : L’auteur n’en déclare pas. Remerciements : L’auteur tient à remercier Daniel Marcelli et Pierre Lombrail pour leurs conseils.

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