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Comportement

Publié le 30 jan 2024Lecture 10 min

Jeux dangereux à l'adolescence

Solène SIRIEYS et coll.*, Unité d’accueil et de crise de l’adolescent (UACA), Centre hospitalier Rives-de-Seine, Neuilly-sur-Seine

Cette nouvelle rubrique consacrée à la médecine de l’adolescent est l’occasion de présenter une pratique intégrative et systémique centrée sur l’adolescent mais explorant en même temps les interactions avec la famille, les pairs, les soignants. Le corps de l’adolescent y prend une place importante. Cette rubrique a vocation à accueillir les observations d’internes, chefs de clinique, assistants, pédiatres ou médecins d’adolescents qui le souhaitent, en collaboration avec le responsable (renaud.detournemire@aphp.fr). Aujourd’hui, deux observations cliniques commentées.

Shaza et les arts martiaux Lors d’une garde aux urgences, nous recevons à 1h30, Shaza, 14 ans, pour un traumatisme crânien avec des troubles de la vigilance. L’adolescent avait décrit au père une chute d’une rambarde la veille vers 23h30, alors qu’il jouait avec un ami à l’extérieur. En rentrant au domicile, le père le trouve asthénique et devant l’apparition de vomissements, il décide de l’accompagner aux urgences.   Shaza présente des troubles de la conscience fluctuants, avec un score de Glasgow oscillant entre 10 et 14, et des épisodes de vomissements. Les pupilles sont en myosis serré et il n’y a pas d’autre signe de localisation neurologique. Il a un hématome frontal et une épistaxis bilatérale. Son état hémodynamique est stable et il est apyrétique. Le bilan sanguin est sans particularité et la recherche des toxiques urinaires est négative. Le scanner cérébral montre une fracture de la paroi postérieure du sinus frontal droit avec hémosinus. Sur le chemin du scanner, Shaza présente un épisode de convulsion tonicoclonique généralisée pendant 30 minutes cédant après 2 injections intraveineuses d’1 mg de clonazépam. Au décours de l’état de mal convulsif, devant des désaturations profondes, Shaza est intubé et transféré en réanimation. La LCR normal. L’EEG est également normal. Shaza est rapidement extubé à J1. À son réveil, il indique être un adepte du mixed martial arts (MMA). Le soir de son passage aux urgences, il s’était amusé avec un ami à reproduire des prises de MMA, dont la strangulation, afin de maîtriser son adversaire. La chute de Shaza était donc survenue au décours d’une manœuvre de strangulation par son ami avec perte de connaissance.   Solène qui manque d’air Solène, 12 ans, consulte aux urgences pour un malaise avec perte de connaissance brève de 1 à 2 minutes, étant survenu pendant la récréation, au collège. Les camarades, présents au moment du malaise, ont alerté les adultes et Solène a été emmenée aux urgences par les pompiers.   L’examen clinique est normal en dehors de quelques pétéchies sur le visage et d’une trace linéaire érythémateuse autour du cou. Solène avoue avoir essayé de « se serrer le cou » avec sa ceinture, car ses camarades le font depuis quelques jours dans les toilettes pendant la recréation et disent que c’est « trop cool ».   Prise de risque à l’adolescence La prise de risque à l’adolescence a été initialement définie comme un comportement ayant des conséquences négatives sur la santé. Selon le Larousse, le risque signifie le fait de s’engager dans une action qui pourrait apporter un avantage, mais qui comporte l’éventualité d’un danger. Dans la littérature comportementale économique, il s’agit d’un choix dont l’issue est incertaine. Les adolescents prennent plus de risques que les jeunes enfants ou les adultes. Le fait d’essayer de nouvelles choses, d’aborder l’inconnu, de « prendre des risques » représente une partie essentielle de l’apprentissage pendant ces années, constituant une qualité importante et adaptative. Les études neuroscientifiques et comportementales ont permis des avancées importantes dans la compréhension du développement et du fonctionnement cérébral à l’adolescence. Les différences de comportement entre les adolescents et les autres groupes d’âge, que ce soit dans une approche clinique globale ou dans les taches expérimentales, sont en lien avec les particularités anatomiques et fonctionnelles du cerveau adolescent. Il a été mis en évidence, chez les adolescents, un décalage de maturation entre les différentes structures cérébrales, ainsi qu’une moindre connectivité fonctionnelle et structurale entre les régions cérébrales éloignées. Deux structures jouent un rôle majeur dans la régulation des comportements à l’adolescence : le cortex préfrontal et le système limbique. Le cortex préfrontal est impliqué dans les processus décisionnels de haut niveau, la régulation émotionnelle des comportements, la planification, l’inhibition, la flexibilité mentale et la cognition sociale. Sa maturation s’achève vers 23-25 ans, soit bien après le cortex limbique. Il y a à l’adolescence une diminution de la substance grise par élagage synaptique concomitante d’une augmentation des connexions entre les régions cérébrales et d’une intensification de la myélinisation conduisant à une augmentation du volume de la substance blanche. Le système limbique, partie plus ancienne phylogénétiquement, est situé à la face interne des lobes temporaux. Il joue un rôle clé dans la gestion des émotions, ainsi que dans le système de récompense et du plaisir. Il augmente en volume et en réactivité au début de l’adolescence. Classiquement, on explique le déséquilibre entre les émotions et le contrôle des émotions à l’adolescence par le décalage de maturation entre le système limbique et le cortex préfrontal. La prise de risque à l’adolescence est souvent attribuée à l’augmentation de la signalisation dopaminergique avec une hypersensibilité aux récompenses induite par la dopamine, qui l’emporte sur les mécanismes immatures de contrôle de soi. Cependant, les mécanismes sont beaucoup plus complexes : la dopamine est liée à l’apprentissage, à la prise de décision adaptative en cas d’incertitude et à une motivation accrue à travailler pour obtenir des récompenses. Ainsi, les changements dans le système dopaminergique contribuent à la maturation du contrôle cognitif par divers mécanismes, au-delà d’une vision réductrice entre le traitement de la récompense et le contrôle de soi. La présence des pairs est un facteur environnemental susceptible d’interagir avec la motivation de la récompense pour entraîner une prise de risque. Plusieurs études ont rapporté que la prise de risque en laboratoire augmente en présence de pairs, en particulier lorsque ceux-ci sur veillent les décisions des participants. En revanche, en présence d’une personne plus âgée, les adolescents présentent un comportement de prise de risque réduit. Bien que les adultes associent souvent les pairs à des comportements à risque plus dangereux, ces derniers peuvent également encourager et motiver les jeunes à prendre des risques constructifs et positifs.   Le mixed martial art à l’adolescence Le mixed martial art (MMA ou arts martiaux mixtes) est un sport de combat utilisant des techniques propres à plusieurs autres sports de combat. Sa pratique existe depuis plusieurs dizaines d’années, mais elle n’a été légalisée en France qu’en 2020 en remettant l’organisation de la discipline à la Fédération française de boxe. Ceci a permis de créer des clubs et d’encadrer la pratique de ce sport. Les acteurs du MMA ont appris à structurer leur sport : mise en place d’un système de grades et collaboration avec la Fédération internationale, pour faire naître une progression technique avec des enseignements, comme dans tout sport de combat. Les règles du MMA en France sont adaptées par catégorie d’âge, par classe compétitive et par niveau. Et ce afin de garantir la sécurité du pratiquant et lui proposer une évolutivité tout au long de son apprentissage. Au-delà des règles de combat, le code sportif revient sur le matériel nécessaire à la pratique, les exigences médicales pour pouvoir pratiquer et combattre en compétition, le comptage des points, le rôle de l’arbitre, les sanctions prévues en cas de non-respect du règlement. De nombreuses études ont évalué les risques de blessures chez les athlètes qui participent au MMA pendant la compétition – plus importants que dans d’autres sports de contact, mais il reste encore beaucoup à découvrir sur les blessures subies pendant l’entraînement et chez des populations spécifiques comme les adolescents. Peu est connu sur les blessures suite à sa pratique illégale ou non encadrée. Comme tout sport de combat, il existe des prises potentiellement dangereuses pour l’adversaire si celui-ci n’a pas de technique de défense adaptée. En raison de la nature du MMA, les blessures à la tête et au cou sont fréquentes et préoccupantes. Nous assistons au changement de la perception du MMA dans la société. Aujourd’hui, la pratique des arts martiaux et des sports de combat est une vraie tendance populaire, notamment chez les jeunes. Aux États-Unis, le MMA est l’un des sports qui a enregistré la croissance la plus rapide du nombre de pratiquants. Les médias font la promotion du MMA en tant que spectacle. En imitant ce qu’ils voient dans la culture MMA des adultes, les enfants risquent d’essayer les mouvements et techniques professionnelles comme la strangulation lors de l’entraînement ou dans des environnements où la supervision des adultes est minimale ou inexistante.   Jeux dangereux chez les adolescents En France, le terme générique « jeux dangereux » est apparu dans les années 1990 et recouvre une multitude de comportements dangereux pouvant se dérouler au sein des établissements scolaires ou en dehors. Une enquête menée par la Direction de l’évaluation, de la perspective et de la performance (DEPP) en 2017 pour le ministère de l’Éducation nationale, a constaté une augmentation des pratiquants de jeux dangereux à l’école sur les 6 années précédentes. C’est en effet 11,5 % des collégiens qui déclaraient s’être déjà exercés à ces pratiques dangereuses contre 8 % en 2011. Il apparaît dans plusieurs études que l’âge moyen de découverte de ces pratiques est autour de 12 ans et qu’il n’existe pas de différence selon le sexe. L’issue de ces jeux peut s’avérer dramatique puisqu’ils sont responsables en France de 10 à 15 décès par an. Les jeux dangereux regroupent 3 types de pratiques : les jeux d’agressions, les jeux de non-oxygénation et les jeux de défis. Des combinaisons entre ces 3 groupes de jeux dangereux sont possibles. Les jeux d’agressions, qui consistent en des actes de violence physique, consenti ou non, envers un ou plusieurs jeunes, ont pour objectif de faire mal. Il faut distinguer les jeux intentionnels des jeux contraints. Dans les jeux intentionnels, tous les enfants participent de leur plein gré à ces pratiques violentes. Ils connaissent, avant toute participation, les risques qu’ils encourent. Selon le déroulement du jeu, le jeune peut devenir tour à tour celui qui exerce la violence sur un autre enfant et celui qui la subit. Dans les jeux contraints, l’enfant subissant la violence du groupe n’a pas choisi de participer et les rôles ne s’inversent pas. L’enfant est clairement une victime et le terme « jeu » n’est utilisé que par les agresseurs. Ces jeux sont basés sur la violence physique, sur la violence psychologique ou encore sur la violence via les nouvelles technologies d’information et de communication, tel le « happy slapping ». Dans ce jeu, un groupe de jeunes inflige par surprise des gifles à un autre jeune, la scène étant le plus souvent filmée et publiée sur internet. La loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a créé une infraction spécifique et dédiée au « happy slapping » ou vidéo lynchage. Les jeux de non-oxygénation ont pour but principal de rechercher des sensations de « bien-être » et « pseudo-hallucinatoires » brèves. Le mécanisme est complexe, associant une hypoxie cérébrale provoquée et des variations brutales de la capnie. Cette pratique peut entraîner des séquelles neurologiques graves et aboutir à la mort selon la durée d’anoxie cérébrale. Il existe deux sous-types de jeux de non-oxygénation : les jeux avec strangulation/compression comme le « jeu du foulard » et les jeux avec apnée prolongée qui peut parfois s’accompagner de compression sternale comme le « jeu de la tomate » ou le « rêve indien ». Les jeux de non-oxygénation sont souvent pratiqués après une hyperventilation. Plusieurs profils ont pu être identifiés. Les joueurs occasionnels sont motivés par leur curiosité ou alors contraints par un groupe de pairs. Les joueurs réguliers sont à la recherche de sensations hallucinatoires intenses. Ce profil est plus à même de développer des comportements de dépendance. Les jeux de défi sont une catégorie de jeux où la conscience du danger est bien réelle et motivante. Ces défis sont volontiers filmés puis partagés sur les réseaux, l’objectif étant de montrer ses performances, poussant alors certains jeunes à aller toujours plus loin, à la recherche de l’exploit pour une reconnaissance par leurs pairs. Dans le jeu « Blue Whale », un tuteur guide un jeune via les réseaux sociaux et lui transmet les défis à réaliser. Ces derniers sont au nombre de 50, commençant par des défis simples sans conséquence avant d’évoluer vers des défis de dangerosité croissante, l’ultime défi étant le suicide. Le tuteur peut ainsi pousser le joueur à se frapper, se mutiler, se scarifier, se pencher dangereusement dans le vide et peut même exiger une publication de photo ou vidéo afin de s’assurer que le défi ait bien été réalisé. Tout jeu dangereux de défi qui pousse au suicide relève de la provocation au suicide et est pénalement réprimé (article 223-13 du Code pénal). Il est ainsi possible de dénoncer cette infraction pénale sur la plateforme Pharos, pilotée par le ministère de l’Intérieur qui prendra les mesures nécessaires. Les jeux dangereux représentent un phénomène d’autant plus préoccupant que la plupart des jeunes ne préviennent pas les adultes et que les séquelles possibles sont nombreuses, d’ordre somatique ou psychocomportemental.   Conclusion   L’adolescence est la seule période de la vie de déséquilibre « physiologique » entre les émotions et leur contrôle. La maturation cérébrale non linéaire et asynchrone explique les prises de risque des adolescents. Ces comportements, source d’apprentissage et d’autonomisation, peuvent aussi mener à l’expérimentation de « jeux dangereux », et à la pratique non encadrée de sports de combat, situations qui peuvent mettre en danger les adolescents. Il est au cœur de notre métier de soignant d’accompagner au plus juste cette période unique d’énergie, de découverte et de créativité mais aussi de fragilité.   * S. CIMBERT, N. AHMED ALI, M. MARIN Unité d’accueil et de crise de l’adolescent (UACA), Centre hospitalier Rives-de-Seine, Neuilly-sur-Seine

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