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Comportement

Publié le 23 avr 2019Lecture 8 min

Des jeux pas nets sur le net

Caroline CORTEY, Toulouse

Un phénomène social inquiétant touchant nos enfants et adolescents ne cesse de se répandre : les jeux dangereux. Développés et pratiqués à l’insu des adultes et des parents, ils tissent leur toile sur internet via les réseaux sociaux, engageant chaque jour de nouveaux joueurs et donc autant de futures « victimes ».

Quels sont ces jeux ? Il s’agit de pratiques ou d’activités dites ludiques mais associées à une prise de risque (consciente ou inconsciente), pouvant amener à des conséquences et/ou des complications potentielles (physiques et/ou psychiques) graves, voire mortelles. On peut les classer en trois catégories : – les jeux de défi (exploits à réaliser) ; – les jeux de non-oxygénation (pratiques asphyxiques par apnée et/ou strangulation et/ou hyperventilation) ; – les jeux d’agression. Le rôle d’internet Ces pratiques ont plus ou moins toujours existé. Mais actuellement elles posent le problème de leur diffusion et de leur propagande massive via internet. Cet espace sans limite, avec une grande facilité d’accès et dénué de contrôle suffisant, expose nos jeunes à une véritable invitation et incitation à ces jeux. Actuellement, le post de vidéos de ces pratiques et leur visionnage, à l’insu des adultes, se sont banalisés. De nos jours, nos enfants possèdent ou ont facilement accès à un smartphone (équipé de caméra vidéo et d’un accès internet). Ils peuvent directement mettre en ligne des messages, photos et vidéos de toute sorte. Ils peuvent donc y découvrir les vidéos de jeux dangereux et participer à leur diffusion. Ces appareils connectés relaient les preuves de leur propre performance, leur offrant une reconnaissance immédiate par leurs pairs (très convoitée à cet âge-là). Ces échanges de vidéos font le lit d’une compétition, qui les incite à prendre davantage de risques. Cette surenchère est maximisée par les réseaux sociaux qui offrent un comparatif quotidien et infini. Pensant réaliser et partager des « exploits », les enfants sont pris dans un cercle infernal et vicieux. De nouveaux jeux voient régulièrement le jour. Les plus diffusés sont actuellement les jeux de défi. Le « cap ou pas cap » de notre enfance a progressivement laissé place au dépassement de soi et à la prise de risques. Les enjeux peuvent être purement physiques ou impliquer la prise de substances psycho-actives. En France en 2017, des jeunes ont consulté pour des lésions cutanées (essentiellement sur les avant-bras) ressemblant à des brûlures circonscrites, sensiblement de même taille, avec intervalle de peau saine (figure 1). Figure 1. Brûlures au 2e ou 3e degré dans le cadre du « Ice and Salt Challenge ». Aucun autre signe associé n’était relevé (fièvre, antécédents, prise médicament, etc.). Il s’agissait du Ice and Salt Challenge », défi importé des États-Unis (années 2012), consistant à appliquer un glaçon sur du sel préalablement déposé sur la peau. Le sel associé au froid du glaçon fait baisser la température de la peau à – 20 ° C et provoque immédiatement des brûlures cutanées. Le but de ce challenge étant de tenir avec le glaçon sur la peau le plus longtemps possible, malgré la douleur infligée et les lésions secondaires rapides. Des brûlures de 2e et 3e degré ont été décrites(1,2). Autre pratique associée : le jeu du déodorant, qui consiste à vaporiser le plus près et le plus longtemps possible un déodorant (ou autre flacon pressurisé) sur la peau, entraînant également de graves brûlures. • Le jeu du verre/ou Kylie Jenner Challenge consiste à l’aspiration de l’air (par phénomène de succion répétée) dans un verre ou goulot d’une bouteille pour se faire gonfler artificiellement les lèvres, notamment pour ressembler à certaines stars américaines (même nom que le jeu). Cette pratique peut créer une souffrance cutanée et muqueuse entraînant purpura (figure 2)(3), hématomes, voire déchirures des lèvres comme certaines images en témoignent sur internet. Figure 2. Le jeu du verre provoque des affections cutanées et/ou muqueuses. Les consultations en rapport à ces différents types de lésions ” (brûlures cutanées, purpura) restent compliquées. L’enfant n’avouant que rarement sa pratique, induisant souvent une errance diagnostique, qui peut entraîner la multiplication d’examens complémentaires inutiles, parfois invasifs, voire aboutir à des conclusions hâtives avec de lourdes conséquences comme une suspicion de maltraitance(4). Par ailleurs, certaines de ces pratiques peuvent révéler une souffrance psychologique (volonté d’automutilation)(4). • Le jeu de l’aérosol a pour principe l’inhalation d’un gaz à propulsion comme le butane ou le propane à partir d’un flacon pressurisé. L’objectif est la modification de la voix mais également la recherche de sensations dues à la baisse du taux d’oxygène sanguin, le gaz prenant la place de l’oxygène. Les risques liés à cette hypoxie sont : malaise/perte de connaissance, convulsion, décès(5), mais également des troubles du rythme cardiaque et des addictions. Depuis quelques temps, l’inhalation de protoxyde d’azote (à partir de cartouches pour siphon culinaire) fait fureur chez les jeunes. Elle a été l’origine d’au moins deux décès constatés récemment en France. Autre produit culinaire utilisé avec le jeu des épices (« Cinnamon challenge »). Il s’agit d’avaler une cuillère d’épices (notamment, cannelle), qui provoque instantanément, du fait de sa volubilité et de son fort potentiel irritant, un passage dans les voies respiratoires pouvant entraîner un œdème pulmonaire(6). Autre utilisation des épices : celle de mettre du piment dans les yeux ou sur la peau provoquant irritation, douleur et brûlures. • Certains jeux de défis consistent à défier des véhicules de transport, comme le car ou le train surfing, « surfer » en étant debout sur une voiture ou un train en marche. Le « Chicken subway » teste le courage des jeunes face à l’arrivée d’une rame de métro : « le gagnant » est celui qui remontera le dernier sur le quai. • Des jeux visant à défier la hauteur comme le sky walking, dont le but est de se photographier en haut d’un édifice vertigineux ou le balconing qui consiste à sauter d’un balcon ou d’une terrasse pour atterrir dans une piscine, ont malheureusement eu leur lot de victimes, souvent des jeunes adolescents alcoolisés(7). • D’autres jeux avec ingestion de substances ont vu le jour : la necknomination consiste à désigner un camarade qui devra ingurgiter massivement de l’alcool. Le jeu de l’insomnie : dans lequel une même quantité importante de somnifères, pris aux parents ou grands-parents, est avalée par les participants. Le gagnant est celui qui s’endort en dernier. Les risques de coma et de dépression respiratoire sont majeurs dans ces jeux là. Le Purple Drank consiste à boire un cocktail à base de codéine, d’antihistaminiques et de soda pour obtenir un état d’euphorie, mais à risque de dépendance, convulsion et overdose. Autre défi, mais sans utilisation de substances : le jeu du 12, 24, 48 ou 72 consiste à disparaître sans donner de nouvelles, la durée étant fixée par le défi : 12, 24, 48, ou 72 heures ! Dans le Marave challenge, une victime est désignée et rouée de coups. Ce jeu peut être rémunéré par les « organisateurs », avec prix fixé en fonction de la victime… Un compte Facebook avait été créé pour y rassembler toutes les vidéos. Le Blue whale challenge, qui fait allusion aux baleines bleues venant s’échouer volontairement sur les plages, vient de Russie et a frappé en France l’année dernière. Il s’agit d’une série de 50 défis, imposés par un tuteur/parrain rencontré sur les réseaux sociaux mais avec comme ultime étape/défi : le suicide. Le tuteur crée une manipulation sur les dizaines de premiers défis à connotation dépressive (s’enfermer dans le noir, ne pas dormir, écouter de la musique triste, regarder des films dramatiques, se scarifier, etc.). S’en suit un enrôlement, une dépendance, menant l’enfant à l’isolement et à la dépression, avec le risque de voir aboutir le dernier défi(8). Et les pratiques asphyxiques ? Elles ne sont pas nouvelles elles non plus, mais leur diffusion sur internet s’est nettement accélérée ces dernières années. Or on sait maintenant qu’elles commencent très tôt, dès la maternelle et l’école primaire(9), bien que les motivations de ces jeunes enfants (par mimétisme, peu au courant des risques) soient différentes de celles des adolescents (volonté de prise de risque, de recherche de sensations). Parmi les différentes pratiques asphyxiques, se trouve le jeu de la Tomate, jeu essentiellement pratiqué par les plus jeunes (maternelle et primaire), consistant en une apnée avec manœuvre de Valsalva, glotte fermée, qui entraîne une stagnation du retour veineux et donne une couleur érythrosique au visage, ce qui est le but recherché. Contrairement à ce que l’opinion générale pense, ce jeu n’est pas sans risques. En effet, l’apnée combinée à la stagnation vasculaire entraîne une hypoxie et une hypertension intracrânienne, qui peut provoquer selon la durée de l’apnée, un malaise, une syncope, des traumatismes dus à la perte de connaissance (notamment crâniens), des convulsions, des troubles neurologiques et/ou sensoriels plus ou moins persistants. Une étude de cas est en cours dans le service des Urgences pédiatriques de l’hôpital des enfants à Toulouse : elle relève une dizaine d’enfants ayant été admis dans le service pour complications en rapport à cette pratique. Que faire ? Pourquoi jouent-ils ? Les motivations dépendent des jeux et des groupes d’âges, bien qu’un phénomène de groupe soit commun. En effet, les plus petits reproduisent ce qu’ils observent souvent chez les plus grands, sans conscience du risque contrairement aux plus grands qui, pour différentes raisons (intégration, défi, reconnaissance, estime de soi, personnalité pathologique, etc.), affrontent le plus souvent consciemment les risques et prennent même du plaisir(10). La prévention, l’information et la formation sont les piliers de la lutte  contre ces jeux, mais elles restent insuffisantes. Les associations sont les principaux acteurs de cette lutte (APEAS)(11). Le gouvernement, via le ministère de l’Éducation nationale, assure l’information du personnel scolaire avec la publication et la diffusion de brochures, et guides sur ces pratiques (via Eduscol)(12) et assure également les sanctions (amendes, prison). La prévention primaire devrait être une priorité, en informant les enfants dès leur plus jeune âge sur les dangers de ces pratiques, par exemple à l’école sous forme d’atelier. La prévention secondaire consiste à repérer ces enfants en formant les parents et le personnel scolaire sur ces pratiques et les orienter vers des professionnels spécialisés pour une prise en charge initiale multidisciplinaire, mais également secondaire avec suivi prolongé (encadré). Par ailleurs, l’accès sécurisé à internet des plus jeunes devrait être contrôlé. Conclusion Ces jeux existaient, existent et continueront sûrement d’exister. Des mesures de prévention doivent être poursuivies, améliorées et augmentées. De plus, la vigilance doit être tournée sur la façon dont nos enfants ont accès et utilisent les nouvelles technologies d’information et de communication (internet et les réseaux sociaux).

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