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Neurologie

Publié le 13 nov 2008Lecture 11 min

Schizophrénie infantile : du diagnostic au traitement

M. SPERANZA*, O. BONNOT** *Service de psychiatrie infanto-juvénile,Centre Hospitalier de Versailles.INSERM ERI 15 EA 4047, Université de Versailles Saint-Quentin. **Service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, Hôpital de la Salpêtrière,Paris.

La schizophrénie infantile est un trouble sévère, chronique, avec un pronostic d’évolution défavorable. Si les classifications internationales proposent actuellement les mêmes critères diagnostiques que chez l’adulte, il existe néanmoins des spécificités dans l’expression symptomatique, liées à l’âge de l’enfant et à son niveau de développement cognitif et émotionnel. Le repérage des signes cliniques et les interventions précoces sont essentiels pour réduire le pronostic négatif du trouble.

 
Un concept en développement La schizophrénie infantile est une forme rare de schizophrénie qui se manifeste durant l'enfance ou l’adolescence. Sa prévalence est estimée à 0,03%,soit 5% des schizophrénies. Il s’agit d’une variante particulièrement sévère de la maladie schizophrénique avec un poids génétique très important. Comme pour d’autres troubles multifactoriels à début précoce, tels que le diabète ou la maladie d’Alzheimer, la schizophrénie infantile est un terrain privilégié pour étudier les mécanismes physiopathologiques de la schizophrénie, ainsi que le rôle respectif des facteurs génétiques et/ou environnementaux impliqués dans le développement de la maladie (1). Les recherches menées durant les trente dernières années soutiennent l’hypothèse que la schizophrénie est un trouble du développement cérébral précoce dû à des facteurs environnementaux (infectieux,lésionnels,nutritionnels) débutant dès la période gestationnelle, mais dont les manifestations cliniques surviennent plus tard selon la maturation cérébrale et cognitive du sujet. Dans les formes plus précoces, il existerait une composante génétique plus importante associée à des facteurs environnementaux supplémentaires présents durant le développement et responsables de la sévérité accrue et de la précocité d’apparition du trouble. Selon cette hypothèse neuro-développementale de la schizophrénie, différents facteurs de risque génétiques et environnementaux interagiraient pour produire une vulnérabilité neurodéveloppementale spécifique et une fragilité particulière du système nerveux central aux stress biologiques et psychosociaux (2).   Les critères diagnostiques au fil des classifications La littérature internationale distingue une forme à début précoce avant l’âge de 16-17 ans (Early-Onset Schizophrenia, EOS) et une forme à début très précoce avant l’âge de 12-13 ans, parfois appelée « prépubertaire » (Very Early-Onset Schizophrenia, VEOS) (3). Bien que l’identification du trouble date des années 20, la classification de la schizophrénie infantile a été l’objet de controverses.Avant le DSM-III, le diagnostic de schizophrénie infantile englobait, sans nuances, toutes les pathologies sévères de l’enfance (psychoses infantiles,syndromes déficitaires).Et, c’est seulement à partir des années 70 qu’ont été différenciées les pathologies impliquant une atteinte globale des processus développementaux (les troubles envahissants du développement comme l’autisme) et les pathologies psychotiques de l’enfance présentant une sémiologie proche de celle de l’adulte (comme la schizophrénie infantile). Actuellement, dans la dernière version du DSM-IV, la schizophrénie infantile est diagnostiquée en appliquant les mêmes critères que chez l’adulte :présence de phénomènes psychotiques spécifiques (idées délirantes, hallucinations, discours et comportement désorganisés,symptômes négatifs) et d’un dysfonctionnement social (ou l’impossibilité d’acquérir des compétences interpersonnelles, scolaires ou professionnelles appropriées au niveau d’âge),perdurant dans le temps et en l’absence de troubles de l’humeur. Cette définition n’intègre cependant pas suffisamment la dimension développementale, alors qu’il est clair que l’expression symptomatique du trouble dépend de l’âge de l’enfant et de son niveau de développement cognitif et émotionnel.   Spécificité du tableau clinique selon l’âge de début D’un point de vue clinique,on peut identifier deux principaux tableaux de schizophrénie infantile.Le premier se caractérise par une symptomatologie similaire aux schizophrénies de l’adulte.Les signes apparaissent souvent brutalement durant la pré-adolescence ou au début de l’adolescence, sans antécédents prémorbides particuliers durant le développement. Le deuxième tableau, beaucoup plus grave et précoce,débute insidieusement vers 6-8 ans et s’accompagne d’anomalies du développement sur différents plans : psychomoteur (retards d’acquisition des compétences motrices,de coordination, de langage), cognitif (QI faible,déficits attentionnels,troubles des apprentissages) et relationnel (retrait, isolement,méfiance,voire des symptômes du spectre de l’autisme comme les stéréotypies ou les troubles de la communication).Ce tableau est souvent stable et présente une évolution déficitaire (4). De manière plus générale,la symptomatologie clinique de la schizophrénie infantile est étroitement liée à la précocité d’apparition des troubles. Plus la forme est tardive, plus les symptômes initiaux sont d’apparition brutale et proches de ceux de la forme adulte (prédominance de symptômes positifs). Plus la forme est précoce, plus les symptômes sont insidieux, difficiles à identifier,marqués par les éléments négatifs associés à des retards du développement. Le niveau de complexité et le degré de systématisation des phénomènes délirants, par exemple, sont moins élaborés que chez les adultes.Quand l’enfant grandit, les manifestations symptomatiques deviennent identifiables, car le développement des capacités intellectuelles permet à l’enfant de distinguer des images et des idées précises et de les décrire. Au fil des années,la symptomatologie tend à se rapprocher de celle retrouvée chez les adultes, même si elle reste influencée par la précocité d’apparition et par le niveau intellectuel de l’enfant (symptomatologie moins riche en cas de QI plus faible) (5).   Le diagnostic différentiel est malaisé Une première complexité diagnostique réside dans la difficulté à différencier les phénomènes psychotiques des expériences normales de l’enfance quand les capacités cognitives et langagières ne sont pas bien développées (6). Les parents peuvent rapporter des attitudes ou des comportements chez leurs enfants qui évoquent des phénomènes hallucinatoires (surtout auditifs ou visuels) ou délirants (présences, propos bizarres ou incohérents), dont l’enfant ne perçoit pas l’étrangeté.Leur contenu reflète souvent des préoccupations liées à l’âge (monstres,animaux, jeux) et aux étapes développementales qu’il traverse (séparation, relations sociales,identité).Ces signes peuvent être normaux. C’est le cas des amis imaginaires encore fréquents en âge scolaire, de la distinction entre imaginaire et réalité, qui varie énormément en fonction du contexte développemental,social et culturel de l’enfant.C’est le cas aussi des phénomènes hypnagogiques et hypnopompiques présents lors des transitions entre les phases d’éveil et de sommeil.Avant l’âge de 6-7 ans,la pensée de l’enfant est souvent illogique et caractérisée par un relâchement des associations, qui oblige l’adulte à faire lui-même les liens cognitifs et linguistiques pour interpréter le discours de l’enfant. Une persistance cliniquement significative d’une pensée illogique et désorganisée, en l’absence de troubles du langage,au-delà de l’âge de 7 ans,est un indicateur clinique important pour un diagnostic de schizophrénie infantile (7).   Distinguo avec un trouble envahissant du développement, une bipolarité et une épilepsie temporale Il existe plusieurs tableaux cliniques qui peuvent être confondus avec la schizophrénie infantile :  pour les formes précoces : les troubles envahissants du développement (notamment les formes moins typiques que l’autisme),également caractérisés par des difficultés dans l’acquisition et l’utilisation du langage, des particularités dans la communication et les relations sociales, et des intérêts répétitifs inhabituels. L’envahissement de l’ensemble des domaines du développement sans préservation de secteurs particuliers de fonction- nement est plutôt en faveur d’un trouble du spectre de l’autisme ;  pour les formes de la pré-adolescence:les troubles bipolaires qui se manifestent souvent à cet âge par une symptomatologie atypique (délires et hallucinations), en particulier dans les phases initiales et dans les états mixtes.Leur évolution, cyclique avec conservation des compétences intellectuelles et relationnelles, les distingue des schizophrénies ;  certaines formes rares d’épilepsies temporales peuvent également se manifester par une symptomatologie hallucinatoire, surtout auditive.En cas de doute diagnostique,des investigations complémentaires (EEG ou IRM) sont souhaitables. Globalement,l’étape diagnostique nécessite souvent une période d’observation et une stabilité symptomatique prolongée. Les 6 mois prévus par le DSM-IV sont souvent insuffisants, surtout quand il est difficile d’identifier un début précis du fait d’une continuité entre phase prémorbide, phase prodromique et phase psychotique de la maladie.   Quelle prise en charge ? La schizophrénie à début précoce est un trouble sévère,chronique, avec un pronostic d’évolution globalement défavorable et déficitaire en termes d’adaptation psychosociale, surtout dans les formes à début insidieux. Le repérage des signes cliniques et les interventions précoces sont donc essentiels dans la schizophrénie infantile, car un retard dans le traitement du premier épisode est associé à un pronostic moins favorable (8). Lorsque le diagnostic de schizophrénie à début précoce est posé,la prise en charge peut être séparée en deux temps :  la protection dans les phases «symptomatiques aiguës ». Il s’agit de réduire par une approche thérapeutique et pharmacologique les manifestations psychotiques qui peuvent être gênantes,voire dangereuses pour l’enfant. Cela implique une alliance thérapeutique solide avec les parents et nécessite souvent une phase d’hospitalisation en milieu spécialisé.Les traitements actuels de 1re intention sont surtout les antipsychotiques de nouvelle génération (olanzapine, rispéridone). Ils sont donnés à des posologies plus faibles que chez l’adulte, en raison d’une sensibilité accrue aux effets secondaires, surtout en termes de sédation. Signalons que les schizophrénies infantiles répondent de manière inconstante aux antipsychotiques et sont plus résistantes que les formes adultes,notamment lorsque la symptomatologie est ancienne et majoritairement déficitaire ;    la prévention du déficit dans la phase de « stabilisation ». Durant cette phase (qui concerne d’emblée les formes insidieuses), l’objectif essentiel est de maîtriser les conséquences de la pathologie psychotique sur le fonctionnement général et de limiter l’évolution déficitaire. L’intégration sociale et scolaire est à privilégier par des interventions psychothérapiques et psycho-pédagogiques et un soutien familial. Il s’agit d’envisager des projets thérapeutiques à moyen et long termes qui intègrent soins et apprentissages. Dans cette optique,la prise en charge institutionnelle (hôpital de jour ou internats thérapeutiques) peut aider à maintenir les investissements cognitifs et relationnels, dont on connaît le lien étroit avec le niveau de fonctionnement social. Actuellement, des perspectives intéressantes s’ouvrent grâce au développement des stratégies de réhabilitation cognitive, en particulier dans le domaine des cognitions sociales (9).   Les voies de la prévention De nouvelles stratégies de prévention découlent des données neurodéveloppementales. Les interventions pharmacologiques ou psychosociales durant les périodes critiques du développement cérébral pourraient avoir une efficacité pour réduire l’apparition et l’impact des symptômes chez des individus vulnérables (10). Cependant, l’utilisation des marqueurs de vulnérabilité est actuellement réservée au domaine de la recherche, notamment dans le champ de la prévention, même si des programmes d’intervention précoce commencent à être mis en place.Théoriquement, la détection et la prévention sont possibles à chaque étape du trouble psychotique (en phases prémorbide, prodromique et au début du trouble). Rappelons cependant que les symptômes prémorbides et prodromiques sont non spécifiques et qu’il serait abusif dans l’état actuel de nos connaissances de les considérer tous comme d’origine génétique.On ne peut pas en effet sous-estimer le rôle des interactions avec l’environnement et des potentialités évolutives liées aux aléas de la vie.Si ces directions de recherche semblent prometteuses,les cliniciens doivent rester attentifs aux risques éthiques de telles démarches qui peuvent conduire à la stigmatisation et à un volontarisme thérapeutique inadapté.  

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