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Allergologie - Immunologie

Publié le 27 fév 2014Lecture 14 min

Allergies et allergènes alimentaires nouveaux

G. DUTAU, Toulouse
Nos idées et conceptions sur les allergies alimentaires, ainsi que leur prévention chez la mère et l’enfant ont beaucoup évolué ces dernières années. Les allergies alimentaires dites « nouvelles » sont autant liées à des allergènes nouveaux qu’à des situations nouvelles. La grossesse pourrait être une période privilégiée pour faire passer des messages sanitaires au sujet du diagnostic des allergies et de leur prévention.
Les symptômes de l’allergie alimentaire vont de l’allergie orale jusqu’à l’anaphylaxie qui peut être mortelle. L’augmentation de fréquence des allergies (en général) et des allergies alimentaires (en particulier) est associée au mode de vie occidentalisé. La voie de pénétration des allergènes est variée : digestive (peut-être la voie de la tolérance), cutanée et respiratoire (peut-être les voies préférentielles de la sensibilisation).   Augmentation de fréquence des allergies alimentaires   Depuis les années 1990, la fréquence des allergies alimentaires a augmenté de façon spectaculaire. Cette évolution s’est inscrite dans le contexte de l’augmentation générale de prévalence de la rhinite et de l’asthme allergiques, mise en évidence par de grandes études épidémiologiques mondiales comme l’enquête ISAAC (International Study of Asthma and Allergy in Childhood)(1). L’augmentation de fréquence des allergies alimentaires est un phénomène complexe qui touche surtout les adolescents et les adultes jeunes. Autour des années 1980-1990, des allergènes (dits « nouveaux ») sont apparus (arachide, fruits à coque, kiwi, etc.). En fait, ces allergènes ont toujours existé, mais ce sont surtout de nouvelles conditions d’exposition qui expliquent leur émergence. En dehors des études épidémiologiques, on peut se référer au nombre de publications sur les allergies alimentaires (AA). En effectuant une requête sur Google concernant les publications sur Food Allergy indexées au Medline dans PubMed, on s’aperçoit que leur nombre, faible en 1961 (moins de 20), a augmenté à partir des années 1976 puis en 1983 et surtout en 1995. En 2005, leur nombre se situait autour de 1 000, pour augmenter encore de façon importante par la suite. Actuellement, leur nombre total se situerait entre 15 000 et 20 000. L’augmentation de fréquence des AA s’explique surtout par la multiplication des situations nouvelles qui, au cours des 20 dernières années, ont été favorisées par : la mondialisation des échanges, la rapidité des transports, l’internationalisation des repas et des habitudes alimentaires, la multiplication des allergènes végétaux qui explique l’augmentation considérable de la fréquence des sensibilisations et des allergies croisées. L’engouement pour le bio (par exemple, le retour d’aliments anciens tels que sésame, sarrasin, millet, etc.), les produits diététiques, certaines médecines douces expliquent l’apparition de cas d’allergies que l’on n’avait jamais observé auparavant(a). Quoi de plus doux que l’huile d’amande (évidemment « douce »)(b) ? Quoi de plus anodin que la camomille (Matricaria chamomilla), une astéracée (composée) dotée de principes médicinaux, utilisée pour les soins oculaires, la confection de tisanes (etc.), mais qui possède, comme tous les végétaux, des allergènes puissants (encadré 1). Les mêmes remarques valent pour des produits végétaux « naturels » comme la propolis, responsable de dermatites de contact chez certains apiculteurs, produit sous surveillance dans certains pays(4), mais en vente libre en France, en particulier dans des solutés pour les infections ORL.   a. En aucune façon, il ne s’agit d’un jugement sur l’intérêt ou non de ces aliments. Le lecteur doit simplement savoir que la grande majorité des AA sont des allergènes végétaux. b. Plusieurs cas de sensibilisations aux protéines végétales présentes dans des topiques cutanés (amande en particulier) ont été décrits chez des nourrissons atopiques dont la barrière cutanée était altérée. Guillet G, Guillet MH. Allerg Immunol 2000 ; 32 : 309-11.       Les allergènes alimentaires : une liste en mutation   Depuis 1980, le panorama des allergènes alimentaires s’est profondément modifié. Avant 1980, les AA étaient surtout des affections observées en milieu pédiatrique : les trois principaux allergènes alimentaires étaient alors le lait de vache, l’oeuf de poule, les poissons et fruits de mer. À partir de 1990, la situation a radicalement changé avec l’apparition de l’arachide, des fruits exotiques (dont le chef de file a été le kiwi), les divers fruits à coque (désignés par le terme générique de nuts), le sésame, le sarrasin, les diverses noix exotiques (noix du Brésil, noix de pécan, noix de cajou, noix de Macadamia, noisette, pistache, etc.), les escargots, les viandes, les laits de chèvre et de brebis, les barres diététiques, etc.(5). L’arachide (cacahuète) et les fruits à coque sont responsables de très nombreuses AA. C’est la 4e cause d’AA chez les enfants âgés de 2 à 15 ans derrière le lait de vache, l’oeuf de poule et le kiwi(6). L’augmentation de fréquence de l’allergie à l’arachide a été bien démontrée par Sicherer et coll. (tableau 1)(7-9).   Figure 1. Prick-tests à l’arachide : allergène commercial en haut (réaction positive avec induration à 4 mm et érythème à 7-8 mm) ; allergène frais pilé (réaction fortement positive avec induration pseudopodique à 8 x 11 mm et très important érythème). Test à l’histamine 3 mm (DR. G. Dutau).  Entre 1997 et 2008, la prévalence de l’allergie à l’arachide seule est passée de 0,4 à 1,4 % chez l’enfant de moins de 18 ans (soit une multiplication par 3,5), alors qu’elle n’a pas augmenté chez les plus de 18 ans, résultat en faveur d’un phénomène récent. Pour les nuts, la progression de 0,2 à 1,1 % correspond à une multiplication par 5,5. Enfin, pour la prévalence de l’allergie arachide + nuts, la progression va de 0,6 à 2,1 % (multiplication par 3,5). Auparavant, on ne connaissait pas la prévalence de l’AA au sésame qui avait émergé au début des années 2000(10) : elle est désormais de 0,1 % aussi bien aux États-Unis(9) qu’au Canada(11). L’allergie à l’arachide : un modèle pour le diagnostic allergologique Le diagnostic de l’allergie alimentaire à l’arachide est le plus souvent facile devant une histoire clinique évocatrice – tous les symptômes de l’allergie immédiate depuis le syndrome d’allergie orale (SAO) jusqu’à l’anaphylaxie(c) en passant par l’angiooedème, l’urticaire et le bronchospasme – et la positivité des prick-tests à l’aliment frais (piqûre à travers de l’arachide pilée). Il est démontré que les prick-tests avec l’aliment frais sont nettement supérieurs aux tests avec une solution allergénique du commerce (figures 1 à 3). c. Plusieurs cas de décès par AA à l’arachide ont été rapportés. Les patients sont surtout des adolescents atteints d’asthme méconnu ou non contrôlé. Bock SA et al. J Allergy Clin Immunol 2007 ; 119(4) : 1016-8. Figure 2. Premier cas d’allergie alimentaire de l’Unité de pneumologie et d’allergologie pédiatrique au CHU de Rangueil, Toulouse (1978). Il s’agissait d’une fillette de 7 ans qui avait développé successivement deux épisodes d’anaphylaxie en 1 mois. Le premier après avoir consommé un bonbon à la noisette, le second après avoir mangé un gâteau contenant de la noisette. Prick-test uniquement positif à la noisette (induration 7 mm, érythème 11 mm), Rast de grade 4). Éviction et guérison. Les autres allergènes alimentaires AR (Arachide), Oe B (blanc d’œuf), Oe J (jaune d’oeuf), PO (poisson), L (lait de vache) étaient négatifs avec test témoin histamine positif (3 mm).    DR. G. Dutau Figure 3. Allergie alimentaire isolée au pignon de pin après consommation de salade et de sauce pesto (qui contient typiquement des pignons de pin). Prick-test au pignon avec forte induration (6 x 10 mm) et érythème. Le rast était positif (75 kUA/l).    Il est recommandé de demander un dosage d’IgE spécifiques contre l’arachide dont la positivité confirme le diagnostic et, dans certains cas, évite le recours au test de provocation orale (TPO), qui n’est pas dénué de risque et nécessite une hospitalisation dans une unité spécialisée(5). Plusieurs études ont établi des valeurs seuil des IgEs dirigées contre l’arachide, au-delà desquelles la probabilité d’avoir un TPO positif est très forte (≥ 90 ou 95 %)(5). Toutefois, la mise au point de dosages dirigés contre les allergènes recombinants de l’arachide (rAra h 1, 2, 3, 6, 8 et 9) permet de porter le diagnostic allergique (moléculaire) avec plus d’acuité(12,13). L’histoire clinique peut être plus complexe : arachide masquée dans divers aliments (glaces, chocolats, salades, nems, etc.), ingestion d’un aliment préparé avec une huile ayant auparavant servi à cuire de l’arachide, inhalation d’allergènes volatils, allergies par contact, allergies par procuration (syndrome d’allergie induite par le baiser), etc. Ces faits nécessitent l’avis spécialisé d’un allergologue. En tout cas, devant l’évidence du diagnostic (en particulier une anaphylaxie faisant suite à l’ingestion d’arachide), le recours au TPO est inutile (et même dangereux).   Pourquoi cette épidémie d’allergie à l’arachide ? Les causes de l’augmentation de fréquence de l’AA à l’arachide sont mal connues. L’omniprésence de l’arachide dans l’alimentation est en rapport avec le phénomène de mondialisation de l’alimentation qui touche non seulement les pays développés, mais aussi beaucoup de pays émergents. En 1993-1994, la sensibilisation occulte des nourrissons et des jeunes enfants a été incriminée, car de l’arachide était présente dans certains excipients de solutions de vitamine D(14) ou dans certains laits infantiles(15). Mais la modification de la composition de ces produits par les firmes n’a pas eu d’impact sur l’épidémiologie de l’allergie à l’arachide. Dans une étude de Hourihane et coll.(16), la consommation accrue d’arachide a été incriminée en Angleterre chez les mères les plus jeunes (fortes consommatrices de cacahuètes) : leurs enfants étaient plus souvent sensibilisés à l’arachide que ceux des mères plus âgées, moins consommatrices d’arachide. L’hypothèse d’une consommation accrue de cacahuètes par les mères pendant la grossesse ou l’allaitement a conduit plusieurs spécialistes d’allergologie pédiatrique à proposer des « mesures agressives » dans un but de prévention (voir ci-dessous)(17-19). Lack et coll.(20) ont incriminé la pénétration des allergènes de l’arachide, facilitée par l’altération de la barrière cutanée chez les enfants souffrant d’eczéma atopique. Ces auteurs ont montré que les sujets qui reçoivent des topiques à base d’huile d’arachide ont un risque indépendant très élevé de développer une allergie à l’arachide (OR : 6,8 ; IC 95 % : 1,4-32,9)(20). Toutefois, d’autres études ne sont pas en faveur du rôle sensibilisant de l’huile d’arachide, car la teneur en allergène d’arachide de ces huiles, à différents stades de raffinage, est très variable et surtout très basse (< 0,3 ng/ml d’Ara h 1), ce qui n’est pas suffisant pour sensibiliser les animaux d’expérience (souris)( 21). Entre 1995 et 2000, des protocoles officieux de « diagnostic précoce/ prévention de l’allergie à l’arachide » ont alors été préconisés(16) : – éviction stricte de l’arachide chez la mère pendant la grossesse et l’allaitement ; – éviction stricte chez l’enfant jusqu’à 3 ans ; – recherche systématique d’une sensibilisation à l’arachide chez tous les enfants de moins de 3 ans allergiques à un allergène quelconque (pneumallergènes et ou trophallergènes) ; – éviction de l’arachide et des fruits à coque pendant 3 à 5 ans chez tout enfant sensibilisé à la cacahuète (positivité des pricktests et/ou du dosage des IgEs à l’arachide) ; – à l’issue de cette période, si aucun symptôme n’est apparu, refaire un bilan allergologique (tests cutanés, IgEs, TPO éventuellement)(17). Le moins que l’on puisse dire est que ce type de protocole paraissait excessif…   La prévention de l’allergie chez l’enfant à risque Les idées sur la prévention de l’allergie chez l’enfant à risque évoluent à l’aune du concept de tolérance alimentaire. Depuis les années 1990, la diversification alimentaire (introduction des aliments solides) a été basée surtout sur une seule étude. Fergusson et Horwood(22,23) ont estimé la prévalence de l’eczéma atopique à l’âge de 2 ans et sa prévalence cumulée à 10 ans selon le nombre d’aliments solides introduits avant l’âge de 4 mois : aucun, 1 à 3, et plus de 4. Le tableau 2 montre qu’il existe une relation dose-dépendance entre le nombre d’aliments introduits et la fréquence de la dermatite atopique. Ces résultats ont longtemps justifié une diversification alimentaire retardée pour prévenir l’allergie (en particulier alimentaire) chez les nourrissons à risque allergique, définis comme ayant un parent allergique (risque élevé) ou deux parents allergiques et plus (risque très élevé).   L’encadré 2 résume les recommandations de l’époque. Toutefois, la plupart de ces recommandations sont maintenant périmées (ou presque) car un concept, pourtant bien connu, a fait un retour en force : la notion de tolérance alimentaire. En 2008, Du Toit et coll.(24) ont étudié la prévalence de l’allergie à l’arachide à l’aide de questionnaires donnés aux familles chez des enfants juifs vivant soit au Royaume-Uni (soumis aux habitudes alimentaires du pays), soit en Israël (soumis aux habitudes alimentaires israéliennes qui sont différentes). La prévalence de l’AA à la cacahuète était de 1,85 % dans le groupe des enfants du Royaume-Uni, alors qu’elle n’était que de 0,17 % en Israël, soit 11 fois plus basse ! L’explication probable de cette différence considérable serait simple(24). Au Royaume-Uni, alors que l’éviction de l’arachide était recommandée chez les nourrissons, en Israël l’introduction de l’arachide sous forme de bouillies dans les biberons était culturellement très précoce. Plus précisément, chez les enfants de 8-14 mois, la consommation mensuelle d’arachide est de 7,1 g alors qu’elle est nulle au Royaume-Uni (p < 0,001)(24). Par ailleurs, le nombre d’arachides consommées par mois est de 8 en Israël contre aucune au Royaume- Uni (p < 0,001)(24). Ces résultats ne peuvent s’expliquer que par l’acquisition d’une tolérance orale précoce à l’arachide : ils font actuellement l’objet d’une nouvelle étude. Dans le même temps, plusieurs études ont montré que la notion de tolérance valait aussi pour d’autres aliments, en particulier l’œuf de poule et le lait de vache. En 2004, Zutavern et coll.(25) ont montré que l’introduction de l’œuf après l’âge de 6 mois est associée à un odds ratio plus élevé de développer des sifflements respiratoires et un eczéma chez les enfants revus à l’âge de 5 ans, alors que l’introduction de l’œuf avant 6 mois n’était pas associée à ce risque. En 2011, Tromp et coll.(26) ont examiné prospectivement les effets éventuels du moment d’introduction des aliments solides (lait de vache, œuf de poule, cacahuètes, nuts, soja et gluten) sur le développement des symptômes d’atopie (eczéma, wheezing). L’introduction précoce de ces aliments, avant l’âge de 6 mois, n’a pas été associée à un eczéma ou à un wheezing à un âge quelconque, confirmant l’absence d’efficacité préventive d’une diversification retardée.   De même, en 2011, Wickens et coll.(27) ont évalué, dans une cohorte de nourrissons à haut risque allergique, les relations entre l’âge d’introduction de divers aliments (lait, œuf, nuts, blé) et l’apparition des différents symptômes d’allergie. Les premiers résultats montrent que : – l’introduction différée des nuts augmente de 44 % le risque de sensibilisation à un aliment quelconque ; – l’introduction différée de l’œuf multiplie par 2 le risque de sensibilisation à un aliment quelconque et de 50 % à un pneumallergène quelconque ; – le risque est très marginal pour l’introduction du lait.   Recommandations actuelles pour les nourrissons à risque allergique (tableau 3) Les recommandations positives importantes sont : – l’allaitement au sein jusqu’à 3-4 mois ; – la diversification progressive à partir de 4 mois (comme pour un enfant normal) ; – le conseil (fort) de ne pas fumer pendant la grossesse et l’allaitement. De plus, aucun régime restrictif n’est recommandé pendant la grossesse et la lactation, même si une nouvelle étude de Sicherer et coll.(27) établit un lien entre la consommation de cacahuètes pendant la grossesse et la fréquence des sensibilisations à l’arachide chez l’enfant… (encadré 3). D’autres mesures sont à l’étude, comme l’intérêt préventif des probiotiques et le rôle éventuel du déficit en vitamine D chez la femme enceinte comme facteur favorisant le développement des allergies chez leur enfant.

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