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Neurologie

Publié le 14 jan 2014Lecture 11 min

Ataxie aiguë de l'enfant : quels pièges ? quelles urgences ?

Y. MIKAELOFF, Unité de rééducation neurologique infantile, CHU Bicêtre, AP-HP ; INSERM U669, Faculté de Médecine Paris-Sud 11
Une ataxie aiguë est un trouble aigu de la coordination du mouvement non explicable par un déficit moteur. Il s’agit d’une urgence diagnostique qui conditionne une bonne prise en charge étiologique. Le trouble de la marche est le signe d'appel. Éviter les pièges diagnostiques passe par une bonne description sémiologique.
Devant la survenue soudaine d’un trouble de la marche, le pédiatre se pose la question d’une ataxie aiguë et de ses étiologies dans un contexte d’urgence. Une démarche systématique permet de mieux déjouer les pièges diagnostiques et de mieux définir la prise en charge. Quels pièges ?   Définition « L’ataxie est un trouble de la coordination qui, en dehors de toute atteinte de la force musculaire, affecte la direction et l’amplitude du mouvement volontaire et perturbe les contractions musculaires, volontaires ou réflexes, nécessaires aux ajustements posturaux et au maintien de la station debout. » (Jean de Recondo). Formes cliniques des ataxies Une ataxie peut trouver son origine dans une atteinte de chacun des systèmes anatomiques qui interviennent normalement dans la coordination des mouvements et de la statique. ● Ataxie par atteinte de la sensibilité profonde L’ataxie est aggravée ou révélée par la fermeture des yeux. Debout, les talons rapprochés, les yeux fermés, le malade présente des oscillations qui menaceraient de le faire tomber si on ne le retenait pas (signe de Romberg). Le patient talonne : le pied est brusquement lancé trop loin en avant et retombe en frappant le sol du talon. Il s’agit d’une situation rarement isolée chez l’enfant.  ● Ataxie labyrinthique Debout, l’enfant présente un signe de Romberg labyrinthique, c’est-à-dire un déséquilibre avec tendance à la chute, qui s’exagère à l’occlusion des yeux. Il s’agit le plus souvent d’une latéropulsion. La déviation du corps apparaît lentement après un temps de latence et se fait toujours dans la même direction. La marche est en zig-zag avec conservation de la direction suivie. Lorsque l’on demande au patient de marcher les yeux fermés, alternativement en avant puis en arrière, on observe une marche « en étoile ». Le syndrome vestibulaire périphérique est harmonieux et toutes les déviations lentes se font dans le même sens. Le syndrome vestibulaire central est dysharmonieux. ● Ataxie cérébelleuse Il s’agit de la première forme d'ataxie aiguë chez l'enfant. Elle se caractérise par l’association de troubles de la statique et de la marche, et de troubles cinétiques de l’exécution du mouvement. • Caractère statique : le malade debout élargit son polygone de sustentation et présente des oscillations qui ne sont pas aggravées par l’occlusion des yeux ; la marche est ébrieuse, les enjambées sont courtes, irrégulières, décrivant une ligne festonnée. • Caractère cinétique : incoordination dans l’espace et dans le temps. Incoordination dans l’espace = hypermétrie, asynergie. Incoordination dans le temps = dyschronométrie, adiadococinésie (difficulté à l’exécution rapide de mouvements alternatifs type « marionnettes »), tremblement d'attitude et d’action. La voix peut être scandée. L’hypotonie est un élément majeur du tableau chez le nourrisson. L’ataxie cérébelleuse constitue la première forme d’ataxie aiguë chez l’enfant. ● Formes particulières Elles comprennent l’ataxie myoclonique, l’ataxie frontale, l’ataxie visuelle et l’ataxie visuo-motrice.   Quelles urgences ? Toute ataxie aiguë constitue une urgence qui impose une recherche étiologique. Les causes les plus fréquentes d’ataxie aux urgences pédiatriques d’un grand hôpital américain ont été évaluées : intoxications (1/3 des cas), complications des maladies infectieuses (1/3 des cas) ou autres causes (1/3 des cas, avec un certain biais de recrutement pour des syndromes de Guillain-Barré). Par ailleurs, il y avait une prédominance de jeunes enfants (60 % de moins de 6 ans).   Intoxication médicamenteuse Il s’agit de la première cause d’ataxie aiguë chez l’enfant. Elle s’associe souvent à des troubles de la conscience. Elle s’observe principalement chez les jeunes enfants d’âge préscolaire (< 3 ans) dans un contexte accidentel, et chez les adolescents dans un contexte de prise volontaire (tentative de suicide). Une recherche de toxiques doit être effectuée dans le sang et les urines. L’avis du centre antipoison est indispensable pour compléter le bilan et orienter la prise en charge. En cas de suspicion de prise de benzodiazépines, l’EEG peut montrer des rythmes rapides. Les conséquences cardiaques de l’intoxication aux tricycliques doivent être envisagées. Chez les enfants traités par carbamazépine (Tégrétol®), il faut penser à la prise associée de macrolides. L’alcool et les produits toxiques (travaux divers) doivent aussi être envisagés. L’interrogatoire de la famille doit être rigoureux, « policier » et des conseils pour éviter les récidives doivent être données (rangement des médicaments ou autres toxiques en hauteur et fermé pour les petits enfants d’âge scolaire, prise en charge psychologique pour les adolescents). Hypoglycémie Il faut penser à doser la glycémie de façon systématique. Elle peut être associée à un diabète connu ou méconnu. Les autres causes d’hypoglycémie doivent être envisagées. Vertiges paroxystiques bénins Ils concernent les jeunes enfants de 18 mois à 5 ans. Il s’agit de vertiges rotatoires qui peuvent entraîner la chute. Ils peuvent s’accompagner de vomissements et de pâleur. La durée des accès est brève. Ils peuvent récidiver jusqu’à l’âge de 10 ans. L’évolution est bénigne. L’étiologie n’est pas connue.   Causes infectieuses ou inflammatoires auto-immunes ● Méningites bactériennes Une ataxie peut être le symptôme clinique prédominant d’une méningite purulente. Une atteinte du nerf auditif associée n’est pas rare. ● Ataxies cérébelleuses aiguës isolées compliquant l’évolution de maladies infectieuses La plus fréquente est l’ataxie aiguë compliquant une varicelle (2 à 3/1 000 cas). Elle atteint l’enfant de 1 à 6 ans. Elle survient du 2e au 9e jour d’une varicelle, par ailleurs sans particularité. Il s’agit d’un syndrome cérébelleux isolé. Le LCR est normal ou peut être le siège d’une discrète réaction lymphocytaire avec hyperprotéinorachie modérée. La réalisation de la PL n’est pas systématique si le tableau est typique. La guérison, sans séquelle, est obtenue autour du 15e jour (avant 1 mois). D’autres infections virales peuvent être en cause. Des infections bactériennes comme le mycoplasme, la légionelle et la maladie de Lyme ont été également impliquées. ● Labyrinthites aiguës Elles se présentent comme un syndrome vestibulaire périphérique avec vertiges rotatoires et nystagmus, confirmé par les épreuves instrumentales. Une atteinte cochléaire associée n’est pas rare. Elles peuvent être secondaires à des otites, mastoïdites, méningites (purulentes, tuberculeuses), aux oreillons et au zona. Le risque évolutif est une surdité séquellaire. ● Atteintes immunologiques centrales (rarement ataxie isolée, souvent post-infectieuses) De façon beaucoup plus rare que les ataxies aiguës virales isolées d’évolution favorable, peuvent survenir des tableaux d’encéphalites avec troubles de la conscience et autres signes neurologiques (dont crises épileptiques) associés à l’ataxie aiguë. Ces encéphalites impliquent un mécanisme auto-immun, souvent secondaire, déclenché par un agent viral banal rapidement éliminé. Par le mécanisme, on peut aussi rapprocher et évoquer la sclérose en plaques de l’enfant. Cependant, un début par un syndrome cérébelleux, une atteinte labyrinthique ou un trouble de la sensibilité profonde isolé, est rare. ● Polyradiculonévrites aiguës inflammatoires Il s’agit de la forme ataxique du syndrome de Guillain-Barré, qui est fréquente chez l’enfant, liée à une localisation proximale du déficit moteur, parfois associée à un trouble de la sensibilité profonde. Il est souvent précédé par un épisode infectieux banal. Il est caractérisé par une ataxie aiguë, des myalgies, un déficit musculaire à prédominance proximale et une aréflexie tendineuse. Trois phases évolutives sont décrites : la phase d’extension des paralysies, dont l’atteinte respiratoire et végétative fait toute la gravité, la phase de plateau de stabilisation des manifestations neurologiques et la phase de récupération. Le LCR peut montrer une dissociation albumino-cytologique (hyperlymphocytose modérée, absence de réaction cellulaire). L’étude électrophysiologique met en évidence la démyélinisation segmentaire dominante. Le traitement est principalement symptomatique, mais peu recourir aux immunoglobulines. L’évolution est globalement favorable avec moins de 10 % de séquelles dans les différentes séries. Le syndrome de Miller-Fisher, rare, est caractérisé par l’association d’une ataxie aiguë, d’une ophtalmoplégie et d’une aréflexie tendineuse (encadré). Des anticorps anti-GQ1b peuvent être retrouvés dans le sérum.       Figure. IRM cérébrale, séquences pondérées en T2/FLAIR. Médulloblastome cérébelleux révélé par une ataxie chez un garçon de 7 ans. A : coupe sagittale ; B : coupe axiale. Remerciements au Dr Christelle Dufour, Service d’Oncologie pédiatrique, Institut Gustave Roussy, Villejuif.    ● Syndrome ataxie-opsoclonies- myoclonies (syndrome de Kinsbourne) Il concerne les enfants de 1 à 3 ans. Il a un début souvent brutal par une ataxie aiguë en rapport avec un syndrome cérébelleux sévère statique et cinétique, associé à des myoclonies diffuses prédominantes au visage et à des opsoclonies ou « folies oculaires » quasi pathognomoniques du syndrome. Il s’agit de mouvements oculaires involontaires, irréguliers, anarchiques, de survenue brutale, augmentés par les émotions et les stimulations auditives. Le fond d’œil, l’EEG et l’imagerie cérébrale sont normaux. Le LCR peut montrer une hyperlymphocytose. Une infection virale est très rarement retrouvée au bilan. Un neuroblastome, le plus souvent thoracique ou pelvien, est en cause dans plus de la moitié des cas. Sinon, la cause n’est pas retrouvée. Le bilan à la recherche de neuroblastome comprend une exploration radiologique systématique du thorax, de l’abdomen (incluant le petit bassin) par échographie, scanner, IRM et scintigraphie à la méta-iodobenzylguanidine (MIBG) radiomarquée par l’iode. Un dosage des catécholamines urinaires est effectué : acides vanylmandélique, homovanillique et dopamine). Un bilan de gravité et d’extension de la tumeur est effectué. Le traitement est l’exérèse chirurgicale du neuroblastome, parfois complétée par la chimiothérapie ou la radiothérapie. En cas de rechute du syndrome de Kinsbourne ou de sa forme sans étiologie retrouvée, le traitement est l’hydrocortisone. Les séquelles peuvent être une persistance de l’ataxie avec des troubles du langage et un retard mental.   Tumeurs sous-tentorielles (cervelet, tronc) Cette étiologie impose qu’un scanner cérébral en urgence soit réalisé dans toute situation d’ataxie aiguë sans cause évidente. Le syndrome cérébelleux est souvent asymétrique, il peut s’accompagner, selon le siège de la tumeur, d’un syndrome d’hypertension intracrânienne (tumeur du cervelet et du 4e ventricule) ou d’atteintes des nerfs crâniens et des voies longues (tronc cérébral). Les signes sont souvent intriqués en raison de l’extension de la tumeur. En présence d’une symptomatologie d’hypertension intracrânienne, le scanner cérébral précise la dilatation ventriculaire et l’indication d’une dérivation neurochirurgicale en urgence. L’IRM cérébrale précise la localisation et l’extension de la tumeur. Sur le plan anatomopathologique, il peut s’agir de tumeurs bénignes et malignes, d’astrocytomes et de tumeurs primitives neuro-ectodermiques (comme les médulloblastomes [figure]), d’épendymomes et de gliomes. Autres causes ● Status myoclonique C’est le cas, par exemple, des ataxies associées à l’épilepsie myoclono- astatique (syndrome de Doose) ou à l’épilepsie myoclonique sévère du nourrisson (syndrome de Dravet). ● Malformation de la charnière cervico-occipitale (syndrome d’Arnold-Chiari) Elle peut se révéler par une ataxie aiguë, un torticolis, des signes pyramidaux et parfois des malaises. Le diagnostic est radiologique : radiographies du rachis cervical et surtout IRM, qui permet des études dynamiques. Le traitement est chirurgical. ● Migraine basilaire Il s’agit d’une variété de migraine qui peut faire discuter un accident vasculaire cérébral, une malformation vasculaire ou une tumeur. Une ataxie aiguë en rapport avec une atteinte cérébelleuse et/ou cochléo-vestibulaire peut être associée à des paresthésies, une atteinte visuelle, des céphalées occipitales et parfois des troubles de la vigilance. ● Ataxie aiguë débutant une encéphalopathie chronique dégénérative Il peut s’agir de différentes maladies métaboliques ou génétiques. ● Ataxies héréditaires paroxystiques Deux types à rechute ont été identifiés. Ils sont de transmission autosomique dominante. ● Décompensation aiguë au cours d’une ataxie chronique ou progressive (infection) : tumeur, hydrocéphalie chronique, malformation de la charnière cervico- occipitale, malformation de la fosse postérieure de causes génétiques.   Conclusion   Devant une ataxie aiguë chez l’enfant, il faut principalement rechercher les causes toxiques, métaboliques, infectieuses et postinfectieuses, tumorales, et penser au fait qu’elle peut s’intégrer dans le cadre d’une ataxie chronique. Le diagnostic et la prise en charge sont une urgence.

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