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Pédiatrie générale

Publié le 15 nov 2011Lecture 12 min

Jeu du foulard, jeu de la tomate…,une réalité au-delà des médias

F. COCHET, Présidente de l’APEAS (Association de parents d’enfants accidentés par strangulation)

Les médias et les « jeux d’évanouissement » : pratiques ludiques, expérimentales potentiellement mortelles ou « suicides » ? La presse s’enflamme, un article, une dépêche, un suicide d’enfant, les médias se comportent parfois comme une « meute », qui va se déchaîner 24 heures, 48 heures au plus, puis se taire pour oublier… En dehors de toute précipitation, l’information serait cependant essentielle : les « jeux d’évanouissement » sont une réalité, ils sont pratiqués par des enfants qui en méconnaissent les dangers, dans des familles qui en ignorent l’existence.

 
Prenons pour exemples deux cas récents, où l’on voit évoluer d’un jour à l’autre les versions précipitées des journalistes, concernant la mort de Mohamed, 11 ans et de Dorian, 11 ans. • Le Vaucluse.com, version du 22/12/2010 : Un jeune garçon a perdu la vie hier dans un appartement du quartier de Monclar, sur l’avenue Eisenhower à Avignon. Les sapeurs-pompiers ont tout fait, pendant de longues minutes, pour ramener à la vie l’enfant de 11 ans mais sans succès. Il serait mort des suites de blessures dues à une pendaison. Depuis ce mercredi matin, on sait qu'il s’agissait d’un suicide. À l’extérieur de l’appartement, les habitants de l’immeuble, d’abord inquiets, étaient anéantis par la nouvelle. Certains sont restés un moment debout dehors, sans dire un mot, hagards, devant le hall de l’immeuble. Le Vaucluse.com, version du 24/12/ 2010 : L’enquête sur la mort tragique du petit Mohamed, 11 ans, retrouvé pendu chez lui à Avignon, a pris hier une tout autre tournure. Contrairement aux premières conclusions des enquêteurs, le petit garçon serait décédé de façon accidentelle. Il sera inhumé la semaine prochaine. « La mort serait liée à un jeu, type jeu du foulard. (...) L’environnement familial et d’autres éléments concordent, il ne s’agit pas d’un suicide », affirmait hier soir une source proche du dossier, contredisant la thèse jusque-là avancée. • Le Parisien, version du 27/01/ 2011, 12h07 : Un garçon de 11 ans, décrit comme « très solitaire », s'est suicidé par pendaison mercredi soir alors qu'il était seul chez lui à Saint-Laurenten- Grandvaux, petit village du Jura, a-t-on appris jeudi auprès du parquet de Lons-le-Saunier. Le corps de l'enfant a été retrouvé par sa mère au moment où elle rentrait du travail, vers 21 h 30, a précisé à l'AFP Stéphane Larcat, substitut du procureur, confirmant ainsi une information du quotidien Le Progrès. « Quand la mère est arrivée à la maison, le loquet était fermé de l'intérieur, si bien qu'elle a dû faire appel à son compagnon pour qu'il défonce la porte ». L'enfant était décrit comme souffrant d'une « très grande solitude » et faisait d'ailleurs l'objet d'un suivi psychologique, selon Me Larcat. Ce drame survient 9 jours après le suicide près de Lyon d'une fillette de 9 ans, qui s'était défenestrée du 5e étage après avoir laissé un mot dans lequel elle faisait part de son mal-être, notamment face au diabète dont elle souffrait. Le Parisien, version du 28/01/2011, 10 h 49 : « Non, Dorian ne s'est pas suicidé ». Yannick, le compagnon de la mère de Dorian, ce jeune garçon retrouvé pendu dans sa chambre mercredi soir à Saint-Laurent-en-Grandvaux (Jura), veut « rétablir la vérité ». « Dorian a été victime du jeu du foulard, assure-t-il, la voix tremblante. Je l'ai retrouvé sous son lit, pendu avec son écharpe, au milieu de ses jouets. Pour moi, la raison de son décès ne fait aucun doute ». C'est lui qui, avec la mère de Dorian, a découvert le corps de l'enfant. (…) Alors que des proches parlaient hier d'un enfant solitaire et mélancolique, Yannick décrit un garçonnet « joyeux, très intelligent, et qui avait peur de la mort ». « Il refusait même de prendre son bain tout seul, de peur de se noyer », ajoute-t-il. Quant au suivi psychologique régulier de l'enfant, « il devait aider Dorian à surmonter la séparation de ses parents, qu'il ne vivait pas très bien. Mais cela n'avait rien à voir avec une dépression », ajoute Yannick. Ce dernier veut que « tout le monde se rende compte de la dangerosité du jeu du foulard » et en appelle aux « politiques ».   Pourquoi cette conclusion hâtive au « suicide » ? Dorian et Mohamed sont morts par « pendaison », leur père ou leur mère ont hurlé au téléphone, en appelant les secours « Mon fils (ou ma fille) s’est pendu(e)… ! ». Ces familles ne pouvaient réaliser, devant la scène épouvantable qui les a instantanément plongés en état de choc, qu’il ne s’agissait pas d’une pendaison complète : comment l’auraient-ils pu ? Ils se sont précipités sur le corps inanimé et ont tenté ce qu’ils pouvaient en attendant les pompiers. Lorsque les services de secours sont arrivés, ils avaient retenu cette phrase, véritable cri d’appel : « Mon fils s’est pendu »… Pas moyen de constater, pas moyen de faire parler les parents, qui ne peuvent comprendre. Comprendre quoi ? Leur fils allait bien, leur fils n’avait aucune raison de se supprimer ainsi, sans raison, sans explication, comment sortir de ce gouffre ? Un voisin, un ami ose plus tard évoquer le « jeu du foulard », nom générique désignant une pratique expérimentale d’évanouissement ayant causé un grand nombre d’accidents d’enfants et d’adolescents et dont on ne parle que depuis une dizaine d’années. Ce « jeu » aux allures mystérieuses n’a pas bénéficié d’une action préventive suffisante, qui aurait permis d’alerter l’ensemble des parents, l’ensemble des professionnels, des médecins, des services de secours.   Comment informer ? Une telle information ne doit pas être véhiculée uniquement par les médias. Elle mérite d’être reprise par les professionnels de santé. Certains ténors de pédopsychiatrie sont régulièrement consultés par les médias et par les institutions, en raison de leur médiatisation et donc de leur popularité ; ces experts sont aussi spécialistes du suicide. Les « pratiques ou jeux d’évanouissement » ne les passionnent pas, certains n’y croient pas ou refusent de s’y intéresser, ce qui n’est heureusement pas le cas de l’ensemble de la profession. Une prévention efficace validée par tous permettrait de faire baisser le nombre de cas de décès qualifiés en « suicides infantiles ». La plupart des accidents dus au « jeu du foulard » sont encore aujourd’hui déclarés et comptabilisés en tant que suicides… La référence « jeu dangereux » n’existant pas officiellement, les cas reconnus en tant que tels sont seulement qualifiés d’« accidents domestiques ».   Réaction des parents Certains parents, devenus très brutalement « victimes », avaient vaguement entendu quelques bribes de témoignages de ces pratiques, dont le « jeu du foulard », lors d’émissions touchant à certains faits divers. De telles pratiques ne pouvaient pas les concerner : leurs enfants n’étaient ni fous, ni suicidaires. Le jour de l’accident, le choc est trop important et les informations trop vagues, ne leur permettant pas de trouver une explication immédiate. Ensuite, il leur faudra beaucoup de courage, et parfois beaucoup de temps, pour réagir et réussir à convaincre, en apportant des preuves, que cet enfant est mort d’un « jeu », et non d’un suicide… Quelques heures à quelques jours après l’accident, lorsque la cause de la mort de leur enfant leur est clairement communiquée, « suicide », ils comprennent souvent trop tard qu’il sera désormais difficile de faire modifier le cours de l’enquête. La position de l’enfant n’avait pu être constatée officiellement. Seules des explications précipitées avaient été divulguées, parfois immédiatement, par la presse. Comment la presse avaitt- elle pu s’emparer de ces drames, sans avoir contacté les parents ? Pourquoi tant d’inexactitudes sont-elles régulièrement délivrées par les médias aux yeux de tous, construisant des explications hâtives à ces « suicides » par un hypothétique mal-être de l’enfant, une désunion des parents, des résultats scolaires pas forcément bons, ou toute autre cause, qui l’aurait naturellement conduit au suicide.   Suicide, solution de facilité ? Ces explications médiatisées en « coup de feu », qui s’éteint aussi vite qu’allumé, contribuent sans doute à apaiser la société : conclure au suicide et ne pas avoir à prévenir les camarades de cet enfant contre certains « jeux dangereux » qu’ils auraient pu pratiquer ensemble. Gérer, seulement, grâce à une armée de psychologues, le deuil des camarades de classe, en essayant de leur faire comprendre le suicide du copain. Risquer ainsi d’autres drames, par ignorance de cette problématique des « jeux d’évanouissement » qui dérange, car complexe à appréhender : « ne pas donner des idées », « ne pas culpabiliser », « ne pas aggraver le traumatisme »… et surtout ne pas informer, ne pas alerter et au final, ne pas prévenir… Car on ne sait pas comment les camarades pourront réagir. La plupart des chefs d’établissements scolaires sont persuadés que ces pratiques étaient inconnues de leurs élèves. Toute prévention serait incitative, pourquoi en parler ? Cet élève s’est suicidé, il n’y a donc aucune raison d’ajouter au traumatisme de ses copains une séance de prévention contre le « jeu du foulard » !   Il existe pourtant une prévention efficace Il n’est évidemment pas question d’en parler avec les élèves à la façon des médias. Une méthodologie de prévention ayant fait ses preuves est disponible à l’APEAS, qui propose de faire parler les enfants des « jeux dangereux » qu’ils ont remarqués ou auxquels ils ont parfois participé. À partir des témoignages recueillis, on les amène à en comprendre les conséquences physiologiques par un échange interactif. Les enfants sont heureux que l’on puisse répondre à toutes leurs questions de façon claire, simple, mais juste. Ils sont sensibles à la responsabilisation dont on les charge et à la confiance qu’on leur attribue.   Une réalité au-delà des médias Les médias en font trop souvent un feu de paille, qui s’éteint aussitôt, et ne se rallumera que plusieurs mois plus tard, alors que d’autres accidents se seront produits entre-temps, qui n’auront pas retenu leur attention. Silence radio, donc la population s’imagine que le problème a été réglé : il n’en est rien. Chaque mois, un ou plusieurs cas de décès est signalé à l’APEAS, sans compter les cas avec de lourdes séquelles qui frappent un certain nombre d’enfants. L’association se conforme à certaines règles essen tielles d’éthique, et n’alerte pas les médias si la famille n’en fait pas la demande. Entre Mohamed et Dorian, deux autres décès : un garçon de 11 ans et une fille de 12 ans, sont également morts de ces pratiques en France. La presse n’en a rien dit ou presque. Il est vrai que les dates auraient pu « déranger » les fêtes familiales de fin d’année : le jour de Noël pour l’un, le jour de la Saint-Sylvestre pour l’autre… Les médias parlent souvent de ces événements de façon décalée et dangereuse, car trop superficiellement, et la priorité est d’en faire un papier, si possible, avant les autres, course à l’audience et à l’audimat oblige. Mais il faut être certain que les autres vont suivre, sinon on se retire, car l’information ne vaut que si les confrères la traitent aussi ! Donc on en dit juste ce qu’il faut pour être productif, peu importe qu’on affole les populations, le sujet sera oublié dans quelques jours. Mais au final, le résultat sera contre-productif quant à l’information, la vraie, sur cette problématique.   Parfois, les médias sont véritablement dangereux Dans telle émission de grande écoute, à l’heure où les enfants sont nombreux à regarder la télévision, certains documentaires n’hésitent pas à passer des images, reprises sur YouTube, vecteur d’incitations filmées de manière expressive par les enfants euxmêmes. Une voix off décrit les sensations recherchées par les pratiquants du « jeu du foulard », sans vergogne, semblables aux hallucinations ou aux « bienfaits » ressentis lors de prises de stupéfiants, etc. Les responsables de ces émissions sont parfaitement injoignables avant diffusion. Ils auront pourtant questionné les associations, des conseils de prudence leur auront été largement prodigués. Mais la lecture du « produit fini » est impossible avant sa diffusion, le mal est fait lorsque le documentaire a été vu par le grand public, et notamment par les enfants. De nouveaux accidents risquent de se produire, suite à cette information incomplète, etc. Il est trop tard, il n’y a pas de recours possible.   Conclusion Les médias sont très utiles à la transmission d’une alerte sérieuse contre les jeux d’évanouissement, dont le « jeu du foulard », le « rêve indien » et le « jeu de la tomate » (Le Figaro, quotidien du 18/10/2000). Ces pratiques étaient totalement inconnues du public, des professionnels, et le seraient encore, sans l’implication d’un certain nombre de journalistes sérieux, depuis une dizaine d’années. Cependant, les médias ont parfois outre-passé des principes évidents de précaution et s’octroient le droit à gérer seuls un thème délicat de santé publique. Ils seraient tellement utiles à cette cause, en proposant des émissions sérieusement conduites, en présence de professionnels avertis, connaissant le terrain de la prévention et la problématique de ces pratiques mortelles. Ils pourraient être ainsi vecteurs d’une véritable information de santé publique envers le grand public.  

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