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Allergologie - Immunologie

Publié le 31 oct 2023Lecture 10 min

Une anaphylaxie peu connue, associée à la luge d’été

Guy DUTAU, allergologue, pneumologue, pédiatre, Toulouse

Si les allergènes alimentaires, qui sont très nombreux, représentent avec les médicaments les principaux responsables des anaphylaxies, associés ou non à des cofacteurs comme l’effort physique, il existe d’autres causes souvent méconnues des médecins comme l’anaphylaxie postprandiale (APP), l’anaphylaxie associée aux règles, à l’exercice physique et à l’ingestion d’aliments (AIEPIA). Mais il existe d’autres types d’anaphylaxie encore plus rares et plus méconnues. C’est le cas de l’anaphylaxie associée à la pratique de la luge d’été (AALE). Désignée pas les auteurs anglo-saxons sous le vocable « Alpine slide anaphylaxis », cette variété d’anaphylaxie touche tous les âges, de l’enfance à l’âge adulte. Cette revue résume l’historique, le diagnostic et les causes intriquées de ce curieux syndrome.

Luges d’été   Les luges d’été (anglais : Alpine slide), ou bob-luges par analogie avec le bobsleigh, sont de petits véhicules qui se meuvent en totale indépendance sur des pistes en béton ou en métal1 que les « professionnels de la moyenne et de la haute montagne » ont eu l’idée d’installer dans leurs stations(1). Le fait que l’enneigement soit fortement diminué explique que cette activité fasse partie de la diversification des offres ludiques en montagne. Mais cette activité ne se limite pas à la montagne puisque les parcs de loisirs de plaine en comportent aussi. Dans tous les cas, ces installations ont pour objectif de procurer des sensations fortes, selon leur longueur, leur dénivelé et la topographie des parcours. L’histoire nous apprend que la luge d’hiver a existé 1 000 ans avant J.-C. Les Vikings l’auraient utilisé en l’an 800 dans la région de Slagen2, près du fjord d’Oslo(2). Cette activité consiste à glisser avec de petits véhicules autonomes dont le conducteur peut contrôler la vitesse grâce à un manche situé en avant de lui, permettant certes de freiner mais aussi d’accélérer (figure 1). Les parcours sont variés et, parfois, deux parcours parallèles sont proposés. En montagne, ces « pistes » sont tracées dans un environnement le plus souvent herbeux (figure 2). Elles peuvent parfois être parsemées de pierres ou de petites rocailles. Figure 1. Luge d’été (un manche situé en avant permet de freiner ou d’accélérer. Freinage en fin de parcours (Serre Chevalier). Figure 2. Piste tracée en sol totalement herbeux.   Une requête sur Google avec le terme « luge d’été » montre que la plupart des stations de montagne en sont équipées en été, comme c’est le cas d’Annecy (448 m), de Chamonix (à partir de 1 035 m), Les Angles (1 650 à 2 400 m), Les Saisies (1 650 m), Guzet (1 400 m), Luchon (1 630 m), Le Mont-Doré (300 m), Morzine (1 000 m), Super-Besse (1 350 à 1 850 m), Serre Chevalier (2 491 m), etc. Au total, il y a des pistes de luges d’été dans tous les massifs montagneux de France et même dans des localités de plaine comme à Toulouse.   Revue de la littérature   Les publications que nous connaissons ne sont qu’au nombre de trois, toutes bizarrement datées de 1984(2-4). • Pendant une courte période de 2 semaines, entre le 22 juillet et le 8 août 1982, Spitalny et coll.(2) ont décrit les cas de 5 personnes qui avaient présenté des épisodes d’anaphylaxie après avoir pratiqué la luge d’été. Ces patients ont été comparés à des témoins composés de certains de leurs amis (qui avaient développé une anaphylaxie) ; de personnes qu’ils ne connaissaient pas mais porteurs d’abrasions cutanées ; et de 6 employés des pistes qui avaient récemment présenté des abrasions cutanées en rapport avec la pratique de la luge d’été. • Cette étude a montré que les facteurs de risque d’anaphylaxie associée à la luge d’été étaient les abrasions cutanées, les antécédents familiaux et les personnels d’allergie. De plus, Spitalny et coll.(2) ont recensé les accidents survenus dans les parcs de loisirs des États-Unis et ont identifié 27 cas semblables à ce type d’anaphylaxie, parmi ces derniers 22 avaient présenté des abrasions cutanées en période estivale. Les auteurs ont évoqué la possibilité d’une pénétration transcutanée de pollens à travers une peau lésée par ces abrasions. Deux autres courtes publications comparables ont confirmé cette hypothèse(3,4). • Ces pistes ont une position variable par rapport au sol. Toutes ne sont pas surélevées comme d’autres et tracées dans les prairies entourées d’herbes diverses. Il est également possible que les abrasions cutanées soient préexistantes à la séance de luge, ne précédant les symptômes d’anaphylaxie que d’un temps assez court. Mais, pour les observations de Spitalny, il est aussi permis de se demander si la luge d’été ne pourrait être responsable de chutes dans les pourtours herbeux. • Malgré plusieurs recherches récentes, nous n’avons pas trouvé de nouvelles publications, ce qui pourrait traduire la rareté de ce syndrome ou probablement à notre avis, sa méconnaissance, eu égard au grand nombre des pistes de luge d’été disponibles en France et dans le monde.   Hypothèses sur les causes et le(s) mécanisme(s)   Allergies polliniques Les premiers auteurs ont pensé à la possibilité d’une allergie à divers pollens émis par les plantes poussant autour des pistes. Toutefois, globalement, l’antigénicité des pollens est différente de celle des tiges et des feuilles des plantes. De plus, l’anaphylaxie peut survenir en dehors des saisons polliniques, et les parcs d’attraction et les centres de loisirs des villes sont le plus souvent dépourvus de plantes pollinisatrices.   Allergies à des allergènes végétaux non polliniques L’hypothèse d’une allergie à des allergènes végétaux non polliniques a été évoquée, par référence à d’autres observations de la littérature concernant les effets des herbes et de leurs tiges sur la peau des personnes atopiques ou non atopiques. • En 2001, Miesen et coll.(5) ont rapporté le cas d’un homme de 33 ans qui, après une chute sur un terrain de football ayant entraîné une importante abrasion cutanée prétibiale avec lacération delapeau(10 cm x 16 cm),a développé un choc anaphylactique avec collapsus. Son état clinique s’est amélioré rapidement après une oxygénothérapie, la perfusion de sérum salé et de clémastine IV. La forte élévation de la méthylhistamine sérique au moment du collapsus (297 mmol/??) était en faveur d’un mécanisme IgE-dépendant. Chez ce patient qui avait des antécédents d’urticaire de contact aux herbes, les prick-tests (PT) ont été positifs vis-à-vis de plusieurs graminées. Les auteurs ont expliqué les symptômes d’anaphylaxie par la pénétration rapide d’allergènes végétaux, à la fois polliniques et non polliniques à travers la peau abrasée de ce patient allergique aux pollens. De plus, le rôle adjuvant de l’effort physique pouvait être invoqué(5). • En 2001, Swaine et Ridding(6) ont publié le cas d’un sportif qui a été admis dans une unité d’urgence hospitalière pour un collapsus avec urticaire diffuse, nécessitant une réanimation intensive. Il avait couru dans un champ de blé pour retrouver son chemin. Atteint d’asthme et d’urticaire d’effort, il avait des PT positifs au pollen de blé. La physiopathologie de cette anaphylaxie fait probablement intervenir plusieurs facteurs : une inhalation intense de pollen de blé, le contact avec les allergènes non polliniques des tiges des blé, l’effort physique associé à la sudation et au stress d’avoir perdu son chemin(6). Il serait utile de comparer la fréquences des anaphylaxies d’effort et de l’asthme d’effort, associées à la pratique de la luge d’été avec celles survenant avec la luge d’hiver. Nous ne connaissons pas d’étude de ce type. • En 2003, Tsunoda et coll.(7) ont décrit un cas semblable chez un enfant âgé de 8 ans qui se trouvait dans un champ de graminées (dactyle pelotonné ; anglais : orchard grass). Admis aux urgences dans un tableau de gêne respiratoire avec stridor et urticaire diffuse, il jouait une heure plus tôt avec des camarades dans un champ, près d’un cours d’eau. L’endoscopie a montré un œdème diffus des voies respiratoires supérieures et inférieures (nez, cordes vocales, trachée). L’anaphylaxie a régressé progressivement au bout de 6 heures, après une nébulisation d’adrénaline et une injection IV de 150 mg d’hydrocortisone. Le dosage des IgEs par la technique du RAST (Radioallergosorbent test) a été positif au pollen actyle (67,5 kUA/L). Cet enfant atopique avait des antécédents d’allergie au pollen de cèdre du Japon(7).   Réactions cutanées allergiques sportives ou récréatives de plein air   En 2008, Brooks et coll.(8) ont effectué une revue systématique sur les réactions cutanées allergiques sportives ou récréatives, surtout de plein air. Les auteurs n’ont pas cité l’anaphylaxie à la luge d’été, pourtant publiée quelques années plus tôt. Les données principalement recueillies sont les suivantes : – la majorité des publications sont des cas uniques ou de courtes séries de cas ; – les données sont organisées selon le type de réaction (type I, à médiation cellulaire, en grande partie urticaire, angioœdème et anaphylaxie, et type IV, à médiation cellulaire, en grande partie dermatite de contact) ; – dans les sports nautiques, une sensibilité allergique aux équipements (combinaisons, masques, lunettes), à l’eau et aux agents désinfectants, ainsi qu’à diverses animaux aquatiques (par exemple, les méduses) a été constatée ; – dans les sports d’équipe et autres sports de plein air, la plupart des allergies sont liées aux chaussures, aux appareils orthodontiques et à d’autres équipements, et occasionnellement aux médicaments topiques et autres produits de contact divers. En substance, les sportifs sont confrontés à plusieurs sensibilisants potentiels et, par référence, à l’asthme/anaphylaxie induits par l’ingestion d’aliments et l’exercice physique. Il serait intéressant de savoir si un niveau plus élevé d’effort physique et/ou de stress peut les exposer à un plus grand risque de sensibilisation, comme c’est le cas pour l’anaphylaxie aux luges. Cette étude est également intéressante par les renseignements qu’elle donne pour le diagnostic différentiel de l’anaphylaxie à la luge d’été. Il existe d’autres observations à priori rares (ou sous-diagnostiquées) mais voisines comme l’allergie au jus de pelouse, décrite par Subiza et coll.(9), par Ledent et Mairesse(10,11), et par Leduc(12). Ces derniers auteurs ont montré que le syndrome d’allergie au jus de pelouse était dû à une allergie par inhalation de protéines des feuilles, en l’occurrence la RubisCo, indépendamment d’une allergie pollinique. Pour mémoire, la RubisCo est une sous-unité de la ribulose 1,5-diphosphate carboxylase/oxygénase, enzyme qui permet la fixation du CO2 dans la biomasse végétale(12). Mais ce syndrome, apparemment rare et probablement aussi sous-diagnostiqué3, montre l’importance des allergènes végétaux non polliniques comme cela doit certainement être le cas pour les anaphylaxies associées aux luges d’été.   Traitement   Le traitement est celui de l’anaphylaxie en se référant aux recommandations nationales et internationales bien connues(13-15) : injection intramusculaire (IM) d’adrénaline à la face antéro-latérale de la cuisse en utilisant un dispositif auto-injecteur d’adrénaline4. Mais le problème soulevé par cette anaphylaxie est qu’elle est inopinée, imprévisible, survenant aussi bien chez les sujets atopiques que non atopiques, qui, les uns et les autres, ne possèdent évidemment pas de stylos auto-injecteurs d’adrénaline avec eux. Il faut donc que, d’une façon générale, les responsables des parcs de loisirs aient à leur disposition, sur place, les moyens pour traiter les accidents de toutes sortes : traumatiques ou autres.   Conclusion   Pendant de nombreuses années, une allergénicité croisée entre les pollens de graminées et les allergènes végétaux non polliniques, situés dans les tiges et les feuilles des plantes, a été considérée comme probable dans l’anaphylaxie à la luge d’été. Toutefois, cette possibilité d’homologie est probablement relativement faible et n’explique que très partiellement les symptômes de rhinite, d’asthme ou d’anaphylaxie survenant chez les patients uniquement atteints de symptômes allergiques au contact des végétaux. C’est surtout le cas des employés qui s’occupent de l’entretien des espaces verts, mais aussi de certains particuliers adeptes du jardinage ou des loisirs de plein air. La plupart de ces situations sont mal connues, voire inconnues, par de nombreux praticiens de première ligne, pédiatres et généralistes. Il serait intéressant que les lecteurs nous communiquent leurs observations, des cas similaires ou en attente de diagnostic5. Un dernier point mérite d’être souligné : bon nombre de ces pistes sont surélevées et ne sont pas tracées à même les sols herbeux. Les chutes dans les herbes des prairies sont alors évitées, mais, si chute il y a, c’est de plus haut qu’elles risquent de se produire. Les auteurs n’ayant jamais pratiqué la luge d’été et ne souhaitant pas s’y mettre s’imaginent que les adeptes sont sanglés, ce qui devrait limiter les risques traumatiques, au moins en principe... Le traitement est basé sur l’injection IM d’adrénaline ce qui est loin bien d’être un équipement usuel lorsqu’on se rend dans un parc de loisirs ! Figure 3. La luge d’été est une activité ludique qui peut être pratiquée à tout âge ! Notes 1 Certaines pistes sont construites en ciment mélangé à de l’amiante comme les pistes du Vermont où les 5 premiers patients avaient été observés(2). 2 La luge était déjà utilisée en 800 avant J.-C. par les Vikings de la région de Slagen, près du Fjord d’Oslo. Ils avaient des luges équipées de deux patins, qui ressemblaient aux luges actuelles. Selon des ouvrages allemands qui mentionnent l’utilisation de « Rodeln », la luge remonte au XVIe siècle. Mais ce n’est que 300 ans plus tard que les premières pistes de luge ont été aménagées par les propriétaires d’un hôtel dans les Alpes suisses. Voir : https://londres.franceolympique.com/espritbleu/actus/2914-luge—histoire- de-la-discipline——.html (consulté le 29 août 2023). 3 Les personnels dédiés à l’entretien des espaces verts et les jardiniers qui s’occupent de la coupe de gazon portent des masques de protection pour éviter l’allergie au jus de pelouse, et d’autres accidents liés dus à ces activités, en particulier la projection d’objets divers contondants, surtout métalliques. 4 Et non « dispositif » auto-injectable comme on le voit malheureusement trop souvent écrit : c’est l’adrénaline que l’on injecte... et non le dispositif ! 5 Nos questions sont les suivantes : I) Qui connaît la luge d’été ? II) Qui l’a pratiquée ? III) Est-ce que l’un de nos lecteurs a le souvenir d’avoir déjà vu ce type d’anaphylaxie ? Merci pour les réponses éventuelles.

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